La promotion de Polytechnique à laquelle j’appartiens a été punie d’un séjour en corps de troupe pour avoir fait un chahut qui n’a pas du tout été apprécié par la plus haute hiérarchie de l’armée. Des amis ont envie de regrouper tous les souvenirs de ce qui a entouré ce chahut qui a failli faire exclure tous les élèves de la promotion. Nous nous réunissons à cinq plus une journaliste chez l’un des initiateurs de ce travail de mémoire. Lorsqu’il m’a invité, l’ami m’a dit : « tu pourrais apporter une bouteille de 1961, année de notre promotion ».
J’ai cherché dans ma cave et il se trouve que l’un des deux adjudants qui encadraient notre vie militaire s’appelait Loupiac. Quelle belle occasion d’ouvrir un Loupiac 1961, double clin d’œil, l’un à notre année d’entrée à l’X et l’autre à ce militaire pour lequel j’avais de l’admiration –pour son parcours dans l’armée – et de la sympathie.
L’ami Pierre qui nous reçoit a prévu des langoustines à la mangue, des saucisses de Morteau avec une fricassée de champignons et des fromages. Sur mes suggestions il a ajouté un Stilton et des mangues pour la fin du repas.
Pour l’apéritif nous buvons un Château Haut-Marbuzet 2009 qui est d’une richesse et d’une spontanéité qui sont agréables à vivre. On se sent bien avec ce vin dans cette année splendide.
Pierre m’avait dit qu’il n’a qu’une bouteille de 1961 mais qu’elle est sûrement morte. Je descends en cave avec lui et je vois une bouteille dont la couleur m’inspire. Je lui dis : « ce vin sera bon ». Il ne veut pas me croire. J’ai ouvert la bouteille avant l’arrivée des autres amis et le parfum du vin m’a plu.
Nous buvons le Côte de Beaune ‘Villages’ 1961 dont le négociant embouteilleur est illisible. La couleur est légèrement ambrée, d’un rose gris qui est engageant. Le vin a de l’âge bien sûr mais avec les langoustines à la mangue, le vin est parfaitement adapté et se montre vif et réactif. Il est plaisant à boire et Pierre n’arrive pas à comprendre que cela soit possible.
La saucisse de Morteau aurait pu être accompagnée par le vin blanc mais il est vite fini, aussi est-ce le tour d’un Château Léoville Poyferré 2009 de prendre le relais. Quel grand vin ! Il est dans une forme jeune totalement aboutie. Il est riche, généreux, plein en bouche et d’une cohérence rare. Le mot qui convient le mieux est : abouti. Le 1959 de ce château est un vin parfait. Le 2009 l’est aussi, dans sa belle jeunesse.
Le Saint-Julien est à l’aise avec les beaux fromages. C’est maintenant au tour de mon vin d’apparaitre. Le Clos Champon-Ségur Loupiac 1961 a une couleur d’un bel or encore clair. Le nez annonce un beau liquoreux. Avec du stilton, ce Loupiac crée un bel accord. Si l’on n’a pas la puissance d’un sauternes, on a l’élégance d’un beau liquoreux délicatement gras. Il est aussi à l’aise avec des dés de mangue.
Pierre ayant prévu à manger pour satisfaire de gros appétits nous sommes repus. Nous travaillons sur le livre bien sûr, mais le plaisir de nous rencontrer nous conduit à évoquer mille anecdotes des années passées pendant et depuis nos études. Dans une ambiance amicale riante et chaleureuse, nous allons peut-être construire un best-seller. Visons plutôt de nous faire plaisir.