C’est le dernier dîner qui se tiendra avec des amis dans la maison du sud où j’ai résidé pendant trois mois. Un ami à qui j’avais conseillé d’acheter en salles de ventes des lots disparates à bas prix, car on a parfois de bonnes surprises, m’annonce qu’il viendra à ce dîner avec six demi-bouteilles de vins de Bordeaux que l’on essaiera par curiosité.
Avec ma femme nous avons prévu pour l’apéritif du foie gras décongelé et une caillette et pour plat principal un Parmentier de canard. De nombreux fromages suivront, puis des desserts individuels aux goûts très différents.
J’ai ouvert le Champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle que je situe dans les années 70 une heure avant le repas. Sous la cape, le pourtour du goulot est assez sale, d’un liquide noir et gras que j’essuie. Le bouchon vient entier, net et propre accompagné d’un sympathique pschitt. Le nez est encore fermé.
Au moment où je sers le champagne, le nez est beaucoup plus affirmé, la couleur est d’un or clair et la bulle fine est présente. La première gorgée est un choc. Comme un coup de massue. Je suis fortement touché par la perfection et la force de ce champagne extraordinaire. C’est une bombe de fruits. A chaque gorgée je me dis : « mon Dieu qu’il est grand » et je pense que c’est le plus grand champagne que nous avons bu de tout l’été. Un bonheur infini. Avec le foie gras aérien l’accord est fusionnel, alors que la caillette très forte raccourcit le champagne.
La caillette donne envie de goûter les apports de mon ami. Il y a six demi-bouteilles qui ont été ouvertes il y a trois heures. Les vins sont chauds, ce qui gêne le palais. Nous ne goûterons que trois vins sur les six, car j’ai prévu un autre vin rouge.
Le Château Léoville-Poyferré 1994 est franc, droit, sympathique à boire. Le Château Lynch-Bages 1995 est un peu plus épanoui et convient le mieux avec la caillette.
C’est à table que nous goûtons le Château Lestage Listrac 1995 qui trouve un accord charmant avec le joyeux Parmentier de canard. Ce Listrac est une belle surprise.
J’ai envie que le Vosne-Romanée Les Chaumes Méo-Camuzet 2002 soit servi maintenant avec un époisses. J’ouvre la bouteille au dernier moment pour que nous suivions l’éclosion du vin. L’époisses n’est pas très mûr mais l’accord est divin. Le fromage propulse le vin qui devient de plus en plus puissant.
Gracile, fragile, raffiné lors des premières gorgées, il s’affirme progressivement. Ce vin subtil est un pur bonheur. Avec un munster, l’accord est possible mais moins pertinent que celui créé par l’époisses.
Les gâteaux individuels ont des goûts différents. Ceux au citron meringué conviennent au champagne Grand Siècle alors qu’un dessert aux copeaux de noisettes et un Paris-Brest s’allient avec un vieux Mas Amiel Maury sans étiquette que je situerais volontiers dans les années 70.
Les discussions sur l’avenir de notre pays, particulièrement préoccupant, nous ont fait converser jusque très tard dans la nuit.