Ce sera ce soir, sauf contrordre, le dernier dîner vineux de notre long séjour dans le sud. Nous recevons des amis qui aiment et apprécient le vin, sans en avoir la frénésie encyclopédique des passionnés. Le Champagne Dom Pérignon 1995 a quelque chose de magique. Gracieux, typé, présent, il se montre d’une grande personnalité tout en restant gracile. Nous somme bien sûr dans un registre de fruits blancs, avec un caractère aérien très délié. La poutargue tranchée en lamelles est particulièrement moelleuse, et s’accorde bien au champagne. Mais ce sont les toasts au foie gras qui montrent l’absolue pertinence de l’accord champagne et foie gras. Il faut au plus vite bannir tout mariage sauternes et foie gras, car l’on doit définitivement le pacser au champagne.
Le Champagne Salon 1983 a un bouchon qui me résiste. L’idée de sabrer vient à l’esprit. Lançant le dos d’un grand couteau le long de l’arête du goulot, je tape contre le tête, mais rien ne semble se passer. Je veux reprendre le bouchon à la main pour ouvrir. Par un heureux hasard la cassure n’était pas biseautée, car j’eus été gravement coupé. Je sortis le bouchon collé à un anneau de verre. Le Salon 1983 était sabré.
La couleur est foncée, le nez évoque les champagnes évolués. En bouche l’impression de fumé est certaine. Le vin est notoirement évolué, mais avec une délicatesse rare. Le vin est profond, mais demande une adaptation à ce style nouveau. Ma femme a prévu deux assiettes. Dans l’une, une crème de chou fleur surmontée de dés de foie gras poêlé. Dans l’autre, une crème de céleri surmontée de dés de foie gras poêlé. C’est le céleri qui emporte la mise, car le fumé du champagne et le fumé du céleri sont d’une continuité assez exceptionnelle. C’est un magnifique accord. Le champagne a une longueur appréciable et au moment où j’écris ces lignes, j’ai encore sa pesanteur de très typée en bouche. Il évoque des légumes jaunes fumés, des fruits jaunes aux saveurs calmes. L’accord est très brillant. Il se trouve que 1983 est le millésime qui m’a fait connaître Salon, j’en ai bu beaucoup en y trouvant un grand plaisir jusqu’à ce que d’autres millésimes me ravissent plus encore. Le 1983 entre maintenant dans le monde des champagnes anciens. Ce sera intéressant de vérifier comment il évolue.
Le gigot avec un gratin de pommes de terre caressé virilement par de l’ail accueille un Domaine de Terrebrune Bandol rouge 1995. Ce vin apparemment facile est d’une grande délicatesse. C’est l’archétype du vin d’été, avec ses évocations d’olives et de barbes d’artichauts. L’accord se fait bien. Sa fraîcheur est réconfortante.
Une salade de pêches que l’on pousse en prenant de goûteux macarons est trop forte pour accueillir un vin. C’est donc à l’eau, sous une moiteur de nuit chaude que nous discutons à perte de vue, en reconstruisant le monde qui ne nous demande rien. Mon classement : Dom Pérignon 1995, puis Terrebrune 1995 et Salon 1983. Le rideau du sud se baisse sur ce repas amical.