Nous n’avions pas pu réunir toute notre famille pour échanger les cadeaux de Noël. Cela se fit au début février. Sur de fines tranches de saumon sauvage et sur du saucisson truffé, le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers années 1960 est un vrai bonheur. Quand j’ai voulu ouvrir la bouteille, j’ai senti que tout le bouchon ne suivait pas. Il se sectionna à cinq millimètres du bas, et je dus utiliser un tirebouchon pour extirper le reste. Aucun pschitt ne se produisit. Le champagne délicatement ambré est sans bulle. Mais le vin est délicieux. Ces champagnes ont pris un charme hors d’âge du plus bel effet. L’accord est plus naturel avec les fines tranches de saucisson.
Une anguille fumée étant prévue en entrée, j’ai pensé que le goût légèrement sucré de l’anguille se marierait avec un Gewurztraminer Vendanges Tardives Cuvée Prestige Charles Schleret 1994. Mais le vin d’Alsace est trop puissant et le mariage ne se fait pas, même si ce n’est pas absurde. J’ouvre alors un Rieslieng allemand, un Eitelsbacher Karthäuserhofberg Kronenberg Kabinett, Qualitätswein mit Prädikat, Mosel Riesling 1985. Et là, nous sommes tous estomaqués. Il y a dans ce vin une acidité citronnée et une fraîcheur mentholée absolument remarquables. C’est beau, déroutant pour nos palais qui explorent peu ces vrais trésors naturels de goût. Nous n’avons de repère qualitatif, mais c’est franchement bon. D’où vient cette bouteille, comme la précédente, je ne sais de quel achat. La longueur en bouche est impressionnante et l’accord se fait divinement bien, l’acidité rebondissant sur le gras.
Sur un pigeon fourré au foie gras, purée de petits pois et purée de céleri, nous commençons par un Zar Simeone, Cabernet Sauvignon Bulgarie 1995, vin de la vallée du Danube de vignes de plus de trente ans, cueilli à la main et mûri en fût de chêne pendant 36 mois. Là aussi, je serais bien en peine de dire par quel miracle ce vin se retrouvait dans ma cave. Le vin est agréable, d’une construction claire et carrée. Ce qui impressionne, c’est qu’il ne cherche pas du tout à en faire trop. Il titre 12,5° et parle d’une voix juste. On en ferait volontiers un vin de tous les jours. Il sert de faire-valoir à la Côte Rôtie La Turque, Guigal 1997 qui est absolument spectaculaire. Si le vin bulgare fait un ricochet sur notre palais, la Turque en fait vingt. Ce vin est insolent de perfection. C’est le garçon qui énerve dans les cours de récréation. Il travaille à peine, il est beau comme adonis, et c’est lui que des filles viennent bécoter à la sortie des classes. C’est ça la Turque et je suis de plus en plus convaincu que j’aime ces grandes Côtes Rôties dans des années dites moyennes, car la subtilité est plus lisible que dans des années tonitruantes. Un vin immense au message clair en bouche mais qui rebondit pour atteindre des complexités et des finesses quasi infinies.
La mousse au chocolat légendaire de mon épouse se mangea sans moi, car dans une semaine je vais faire un intense et dense voyage en Bourgogne dont je tiens à revenir vivant. Je me prépare ! Les sourires, les pleurs, les enthousiasmes de jeunes enfants ont, avec le temps clément et ces vins originaux, ensoleillé la joie familiale.