Nous reprenons la route vers ma maison du sud où mon épouse a préparé un grenadin de veau aux fines tranches de pommes de terre. Avant cela, nous grignotons de l’anguille fumée, de la poutargue et du jambon Jabugo autour d’un Champagne Salon 1996. Ce champagne, ce n’est pas la force tranquille, c’est la complexité tranquille. Car il ne fait aucun effort pour se pousser du col. Il est brillant, complexe, vineux mais aussi floral, et déroule toutes ses complexités sans jamais insister. On pourrait dire que c’est un Roger Federer du champagne. C’est avec le Jabugo qu’il est le plus brillant, puis avec la poutargue, l’anguille étant moins opportune. La rémanence en bouche de ce champagne mêle le vineux avec un extrait de fruit confit et quelques fleurs blanches jetées de-ci-de-là. Longtemps en bouche, on a son empreinte au léger poivre, picotant la langue.
Pour le plat, j’ai choisi Vega Sicilia Unico 1989. C’est mon favori actuel des Vega Sicilia. Si je devais faire un choix, je plébisciterais la décennie 60, avec de sublimes 1965 et des Reserva Especial d’une plénitude considérable sur cette période, puis ce 1989 exceptionnel de jeunesse. Le nez du vin est envahissant. Il annonce déjà toutes les complexités du vin. Le parfum est opulent, avec des évocations de feuilles de cassis, feuilles de menthe et de végétal. En bouche, si l’intensité est extrême, la fraîcheur l’est tout autant. Le vin déborde de générosité, avec des fruits rouges et noirs savamment dosés, et une fraîcheur mentholée qui claque comme un coup de fouet. On ne se lasse pas de ce vin qui pourrait sembler lourd et moderne mais qui, de fait, décline toutes ses composantes avec un dosage savant qui donne de la légèreté, de l’élégance et de la complexité.
Nous avons même essayé le vin avec un camembert Jort. Sur le papier, l’expérience est perdue d’avance. Mais si l’on sait manger le Jort, calmer son palais, puis boire le vin avec de minuscules lampées, le râpeux du fromage donne une tension au vin qui prolonge sa longueur.
Par un soir venté à la brise de chaleur, ce qui est une première pour cette année, ces deux vins ont enchanté notre soirée.