L’histoire centrale de ce bulletin démarre par une invitation. On m’invite au salon des professionnels du vin, géré efficacement par Georges Temmime. C’est le même jour qu’a lieu le salon des vignerons indépendants. J’y ai des amis, donc je m’inscris aussi. Je vais d’abord au salon des professionnels où je rencontre quelques domaines connus.
Ayant la chance de ne pas être obligé d’avoir une démarche systématique, je butine de stand en stand, goûtant de jolis vins. Ceux de Gavoty par exemple, très bel exemple des Côtes de Provence. J’ai préféré les rouges aux blancs ce qui rendit malheureuse la charmante et authentique propriétaire, si fière de son 1995. J’ai goûté un Corton Charlemagne Albert Bichot 2000 juste débouché, délivrant cette brutale minéralité instantanée, et d’un charme redoutable car délicieusement canaille. J’ai goûté Hermitage, Côte Rotie et Condrieu de chez Delas, magnifique vins présentés dans la cohue, tant le stand était envahi. J’ai vérifié que les Delamotte sont de très bons champagnes, et qu’un Dom Pérignon 1992 brille même lorsqu’il est mal servi, non pas à cause des sommeliers mais de la marée humaine qui lutte comme à l’ouverture des portes chez Tati (c’est du moins ce que j’imagine, ne pouvant pas garantir que j’en ai fait l’expérience).
J’abandonne les professionnels pour les indépendants qui font grise mine au Carrousel du Louvre tant la fréquentation est chiche. Je suis sensible à de jeunes producteurs des Côtes de l’Aubance qui font de beaux efforts, mais je pense que la voie qu’ils ont explorée, de faire un élixir botrytisé n’est pas à suivre, parce que tout le monde peut en faire. Il perd la signature d’un terroir qu’il faut faire connaître en le travaillant dans sa pureté. Je goûte un magnifique Banyuls, je sympathise avec les Alsace Becker, cette belle maison ancestrale, je fais un petit signe à mon chouchou du Rivesaltes, le Domaine Cazes, si chaleureux et imaginatif, je rencontre de talentueux vignerons du bordelais, et, ce qui me fait plaisir à un stand de cognac, c’est quand un producteur, fier de son assemblage de cognacs ancestraux me dit : « monsieur, vous êtes le premier visiteur que je vois qui sait boire un cognac », et il me mime les gestes inutiles de tant de gens quifont tourner l’alcool dans le verre comme un danseur qui chahute et tournicote sa partenaire croyant la séduire par une brutalité arythmique.
Ayant suffisamment exploré les indépendants je retourne aux professionnels et j’apprends qu’un tirage au sort va désigner le vainqueur d’un Pétrus 1979, lot de prestige de cette manifestation. Le tirage au sort se fait sur les cartes de visite que l’on a données à l’entrée.
Une des conditions de la tombola est d’être présent à l’heure du tirage. J’écoute d’une oreille distraite quand on annonce le résultat car je n’ai jamais gagné à ces jeux. Le gagnant est …., mais il n’est pas là. Hésitation, nouveau tirage, le gagnant est …., mais il n’est pas là non plus. Un sommelier ami proche de moi me lance alors : « si l’un de nous gagne, on la boit ensemble ». Je ne suis pas forcément préparé à partager un vin que je n’ai pas encore gagné mais l’idée me plait. Je dis oui. Là dessus je continue à baguenauder quand j’entends le nom de mon ami. S’il m’avait dit : tous comptes faits je la garde, je n’aurais pas tiqué, mais cet ami vient vers moi et me dit : « prends là, nous la boirons demain ». Me voilà dans les allées avec cette bouteille, des regards stigmatisant avec une parfaite insistance que le sort est bien injuste si c’est un collectionneur comme moi qui empoche le trésor. Un suédois expert mondial des champagnes sera de la partie. Nous réservons au Bistrot du Sommelier puisque Philippe Faure Brac est un ami commun. Rendez-vous à demain.