L’ami gastronome, écrivain du vin et de la gastronomie, qui m’avait attiré à juste titre au restaurant Hiramatsu, me signale qu’il va passer un week-end à l’hôtel des Roches à Aiguebelle au Lavandou, avec l’intention d’écrire sur la cuisine de Matthias Dandine. Je n’allais pas laisser passer une telle occasion de le revoir dans un lieu si proche de mes bases méridionales. Au lever, devant chez moi, la mer est calme, les nuages sont bas et la pluie s’annonce. En arrivant à l’hôtel des Roches, c’est une mer grossie par des vents de Sud Est qui nous accueille. La plage aménagée devant l’hôtel, qui accueille des naïades aux peaux hâlées pendant l’été est ici balayée par une houle de plus en plus forte.
De la plateforme du bar, je vois sur la terrasse de sa chambre mon ami, coiffé d’une casquette d’étudiant anglais aux couleurs de gyrophare, qui écrit face à la mer.
Nous descendons. Le restaurant qui surplombe la mer est battu par les vagues qui projettent de l’écume par-dessus les vitres. L’émoi du personnel devant la violence des flots me fait penser à ces hôtesses de l’air qui blêmissent lors d’une turbulence particulièrement forte : il n’y a rien de moins apaisant. C’est donc dans une ambiance Titaniquesque et non titanesque que nous allons passer ce déjeuner qui fut une réussite à tous égards.
Mon ami annonce qu’il ne boira que du vin rouge. Il sort de sa musette un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1996 qu’il veut nous faire partager. Pressentant que ce ne serait pas suffisant, je commande à Fabien Dandine un Château de Beaucastel 1990. Fabien ouvre les deux vins. Un premier Beaucastel est bouchonné, ce qui est d’une grande tristesse. Le second ne l’est pas, au nez superbe, mais je sens que cette bouteille a vieilli plus qu’elle n’aurait dû, ce qui sera confirmé par l’abondance du dépôt. Matthias Dandine, souriant, vient nous proposer de prendre des rougets et du rouquier, un poisson blanc qui vit en symbiose avec le rouget et par ailleurs, vu le temps, un chevreuil dont il traiterait séparément le filet, accompagné d’un farci traité à la royale. Ce programme nous convient. L’épouse de mon amie nous rejoignant et désirant une coupe de champagne rosé, c’est un Louis Roederer rosé 2002 qui lui est proposé. Pour trinquer et par curiosité, je prends une demi-coupe et nous restons sur notre soif, car ce champagne manque d’émotion.
Le choix de l’ordre des vins se pose pour le repas. La logique voudrait que le Beaucastel vienne en second, mais il est plutôt d’un naturel calme quand le Jaboulet est encore tout fou. Tout indique qu’il s’exciterait avec passion sur le chevreuil. Nous commençons par une brandade de morue sans ail, avec une émulsion au thym des collines, qui est délicieuse, aérienne, goûteuse. Ce plat roturier est toujours un plaisir gustatif. Le Beaucastel est relativement peu expressif, coincé si l’on pense à l’éclatante sérénité que je lui connais.
Le rouget accompagné de son copain de nage, le rouquier de roche, est posé sur un lit de topinambours remarquablement exécuté, et l’on a adjoint une crème de cresson aux petits croutons, très intense. Le tout est rehaussé par une vinaigrette légère aux truffes d’automne. Le Beaucastel commence à s’ébrouer et plus les gorgées passent et plus son réveil devient sensible. Il est bien en phase avec la chair des poissons. Mon ami ne tarit pas d’éloges sur la cuisine de Matthias Dandine et se prononce de nombreuses fois sur un niveau de deux étoiles. Je sens ce couple d’amis qui se délecte de la cuisine de Matthias.
Le chevreuil est impeccablement traité. Le filet de gigue est saignant, sur une compote de coing. La sauce poivrade du filet est divine. La logique voudrait que l’Hermitage La Chapelle, fringant, intense, joyeux, soit le compagnon idéal de cette viande goûteuse. Tout prêcherait pour lui et mes amis lui trouvent toutes les vertus. Mais je préfère en fait le Beaucastel même si je me réjouis de l’accord avec l’Hermitage. Car les notes sucrées, cacaotées, que l’on retrouve aussi bien dans la chair que dans le farci façon Royale à l’écume de genièvre, se lovent avec le Beaucastel enfin épanoui et d’une sérénité extrême. Les deux accords se conçoivent, l’Hermitage faisant ressortir le côté gibier du plat, pendant que le Beaucastel révèle l’élégance subtile du traitement des chairs par Matthias Dandine. Alors, disons que les deux accords se justifient.
Même si la tarte au chocolat se prête bien au Beaucastel – là, plus qu’à l’Hermitage qui ne s’embarrasse pas de ce plat – et même si l’exécution est parfaite comme notamment la glace au cacao pur, c’est une fin qui eût pu être évitée. On déguste la petite macération de fruits rouges au poivre au coulis langoureux pour mettre le mot « fin » à ce festin.
Je comprends l’enthousiasme de mes amis qui ont donné de pertinents conseils pour que Matthias pose son pied sur la marche de la deuxième étoile. Je laisserais peut-être faire le temps pour que ces étapes ne soient pas trop rapides, quelles qu’en soient les envies. Ce que je constate c’est qu’à chaque visite, la cuisine de Matthias gagne en maturité et en sérénité. C’est cette promesse de grands moments qui me séduit le plus.
En sortant du restaurant, la mer montrait de plus belle ses gros biceps de rugbyman. Sur deux grands vins du Rhône, nous avons vécu un beau moment de gastronomie.