(Il est recommandé de commencer la lecture deux articles plus bas pour avoir les récits des repas à Val-Thorens dans l’ordre chronologique)
Nous nous retrouvons tous les quatre pour dîner au restaurant Jean Sulpice, ce qui sera notre troisième repas en ce lieu. J’avais ouvert en fin de déjeuner la bouteille qui va constituer le point fort de ce repas, luttant contre un bouchon qui se déchiquète. Nous ne savons pas ce que le chef a prévu. Les indications de tendances que délivre Alexandre me permettent de commander le vin d’avant et celui d’après.
Le menu que nous ne connaissons pas à l’avance, conçu par Jean Sulpice avec le sommelier Alex et peut-être, dans l’ombre et à distance, avec Jean-Philippe Durand (qui sait ?) est : galette de sarrasin / amuse-bouche : langoustine litchi – joue de bœuf – caviar d’Aurenki, cresson / écrevisses, cèpes, noix de Grenoble / variation de légumes, sarriette / huître Papin-Poget, topinambour, foie gras / Plin, escargots, herbes / boudin à la truffe, réglisse / truffe noire en croûte ris de veau / chevreuil, gentiane, betterave / myrtilles, absinthe / crémeux chocolat, livèche, citron / chocolat, passion, jasmin / chartreuse, chocolat, mûre.
Le Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé en octobre 2014 est au sommet de son art, vif, cinglant et riche à la fois. Un ami dit que c’est pour lui la définition du champagne. Je ne suis pas d’accord car c’est un champagne qui explore des saveurs hors des sentiers battus. Il y a des fruits roses, des tisanes et le champagne se montre extrêmement gastronomique. Il crée sur les légumes un accord idéal.
Le Château Chalon Jean Bourdy 1929 a un parfum d’une rare puissance. Il est riche, fort en alcool, et n’a pas le moindre signe d’âge. Il est glorieux, joyeusement oxydatif. Jean et Alexandre l’ont associé à deux plats en prenant des risques. Avec l’huître magnifique, l’accord se trouve. Qui l’eût dit ? Avec les raviolis (Plins) aux escargots, l’accord est pertinent. Une longue discussion porte sur l’intérêt de la réglisse associée à ce vin du Jura. Je ne suis pas favorable à associer réglisse et vin jaune alors que mes amis, le chef et, par la voie de SMS, Jean-Philippe, sont d’accord. Nous resterons sur cette divergence de vision tout en applaudissant à la fois le vin grandiose, un vin jaune d’exception et les plats de haute cuisine.
Lorsque j’ai choisi sur la carte le Chambertin domaine Trapet & Fils 1996 avec les indications données, Alexandre m’a dit que le chef et lui auraient recommandé ce vin. Il est magique de finesse et de distinction. Son nez est d’une subtilité extrême, sa mâche est gourmande et racée. C’est un très grand vin fruité, élégant et noble. Sur la truffe noire il accompagne le plat alors que le Château Chalon eût pu le faire aussi. Sur le chevreuil il est idéal.
Jean Sulpice est un magicien des herbes, dans la lignée de Marc Veyrat et sait trouver toutes les splendeurs gustatives des herbes, épices et légumes. Chaque plat, même osé, est d’une rare cohérence, pertinent et gourmand. On aurait pu penser qu’au troisième repas nous aurions fait le tour de la cuisine du chef mais il découvre chaque fois des pistes nouvelles qui nous ravissent. Le plat de légume m’a émerveillé, comme les huîtres chaudes goûteuses et le chevreuil gourmand et fin à la fois. Lorsqu’un croque le Plin, on se représente la forme de l’escargot, lors d’un amuse-bouche, le cresson intense et vivant emplit nos narines. La betterave avec la chair du chevreuil est magique. Tout est saveur.
Magicien des herbes, assembleur de saveurs, doseur d’émerveillements, on cherche quel qualificatif lui donner mais je crois que trois mots résument bien sa cuisine : talent, cohérence et gourmandise. Il lui faut vite trois étoiles, peut-être dans un nouvel écrin.
L’équipe de service est très attentionnée, Alexandre, un peu pince sans rire, a du talent et une science affirmée des accords. Jean Sulpice est un être exquis, ouvert et chaleureux. Au-delà de l’astuce facile sur les 2.300 mètres de Val-Thorens, Jean Sulpice est au sommet de la cuisine française.