La Manufacture Kaviari organise des dîners en petit comité en demandant à un chef étoilé de composer un menu mettant en valeur ses caviars. Des grands chefs comme par exemple Yannick Alléno se sont prêtés avec plaisir à cet exercice. Le dîner sera fait ce soir par Georgiana Viou, qui a une étoile au restaurant Rouge à Nîmes. Originaire du Bénin, elle offre une cuisine qui mêle deux inspirations, l’une de la cuisine béninoise et l’autre de la cuisine du sud de la France.
Ce matin, le directeur de la manufacture m’appelle et me dit qu’il serait prêt à m’acheter des vins pour ce repas car il est en manque. Il m’envoie le menu et me dit que le budget qu’il pourrait m’attribuer est limité par rapport à celui que j’engage pour les vins de mes dîners.
J’ai pour principe de ne jamais vendre des vins de ma cave, mais comme je participerai avec ma femme au dîner, ce n’est pas une vente mais un accompagnement, et, sans le lui dire, je n’ai aucune envie de facturer les vins que j’apporterai.
Il faut des vins inhabituels, pour accompagner la cuisine de la cheffe, et si possible, d’une région proche de Nîmes. Je fais une recherche sur le fichier de l’inventaire de cave et je choisis cinq vins qui devraient accompagner les cinq plats prévus : Un Jurançon sec Domaine de Souch 1991, un Costières de Nîmes Domaine Juliande 1998, un Vin jaune Château l’Etoile 1982, un Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986, un Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974. Ils sont tous très proches de Nîmes, sauf le Jurançon.
Nous arrivons assez tôt à la Manufacture pour que je puisse ouvrir les vins. Presque tous les bouchons se brisent en morceaux, sauf celui du Daumas Gassac très beau et au contraire le Maury a un bouchon dont le liège trop léger colle aux parois et se déchire en mille morceaux dont certains sont tombés dans le vin. Nous avons évoqué l’idée de servir ce vin en utilisant un chinois, mais une cuiller magique que j’ai dans ma trousse a évité de recourir à ce procédé.
De tous les vins ouverts c’est le Maury qui a le parfum le plus éclatant d’une grande suavité.
Les participants du dîner arrivent, esthètes et gastronomes, ainsi qu’un ami aux activités aux multiples facettes dans le monde du vin et de la gastronomie, que j’ai invité.
Traditionnellement le champagne d’accueil est un Champagne Billecart-Salmon sans année agréable et suffisamment discret pour ne pas heurter les subtilités des caviars que nous allons déguster dans une pièce très froide qui impose que l’on prenne un gilet molletonné pour ne pas geler sur place.
Le caviar Baeri au gris très foncé me plait beaucoup pour sa longueur incroyable. Le caviar Osciètre Prestige est solide et complexe et c’est en fin de bouche que sa richesse s’exprime. Le caviar Kristal est extrêmement court en bouche et très consensuel. On nous dit que le Kristal est le préféré des chefs car c’est celui qui s’adapte le mieux à leur cuisine.
Après cette belle dégustation, nous passons à table. La souriante Georgiana se présente ainsi que son jeune chef Lukatao Debenath. Elle décrira chacun des plats en expliquant les points importants de sa création. C’est très agréable.
Le menu composé par la cheffe met en majeur le caviar ce qui est une excellente chose. D’autres chefs de précédents dîners en ce lieu ont eu moins de considération pour les caviars.
Voici le menu : Osciètre Prestige, brocoli, échalotte noire, jaune d’œuf confit / Baeri Français, bleu de la pêche de Mathieu Chapel, ragoût de fève et fraises des bois fermentées / Osciètre, asperges blanches de pays, sauce blanquette / Kristal et Pressé, filet de taureau, caviar végétal / Osciètre, chocolat Tuma Yellow et miel de Nîmes.
Face à ce menu que j’ai reçu ce matin il y avait des évidences : les asperges appellent le vin jaune et le chocolat appelle le Maury. Ensuite la viande de taureau ira avec un Mas de Daumas Gassac, le plus grand vin proche de Nîmes. Le Costières de Nîmes s’imposait par son origine et j’ai pensé le mettre avec le poisson. Il restait l’entrée et l’idée du Jurançon m’est venue.
Le Jurançon sec Domaine de Souch 1991 a une couleur assez ambrée tendant vers le rose. Le nez est plaisant et en bouche j’adore le fait que ce vin sec ne peut s’empêcher d’avoir des intonations de vins doux. Et c’est ce qu’il faut pour une entrée aux multiples facettes. Mais le plat est si fort que je demande qu’on serve un peu du vin jaune qui est le seul capable d’affronter la virilité de l’entrée.
Le Costières de Nîmes Domaine Juliande les Vignerons de Montfrin 1998 est un vin qui m’est inconnu. Sa couleur dans le verre est rosée. S’agit-il d’un vin rosé ou d’un vin rouge, j’aurais du mal à le dire, mais sa douceur est très agréable et l’accord se trouve extrêmement bien avec le poisson et aussi avec l’onctueux ragout de fève. Ce vin n’est pas complexe mais il s’est montré élégant et ouvert aux saveurs du plat.
Ma femme n’aime pas les asperges quand elles sont croquantes alors que je les apprécie. L’une des deux servies est légèrement brûlée au chalumeau et Georgina nous explique son choix. L’accord avec le Vin jaune Château l’Etoile 1982 est absolument superbe, et il fallait bien la puissance du vin pour dompter les asperges. Le vin est droit, conquérant et intense, fait pour la gastronomie.
Le Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986 est un vin magnifique, au sommet de son art. Il est fait de 75% de cabernet sauvignon. Sur la contre-étiquette on indique qu’il faudrait servir ce vin à 18°, ce qui me paraît assez chaud. La viande de taureau est exquise à la fois seule ou avec le caviar qui se marie bien. Il est intéressant de constater que le caviar de ce plat ne s’oppose à aucun moment au beau vin rouge.
Le dessert au chocolat est d’une grande originalité avec des saveurs douces mais aussi intenses. Le Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974 est le compagnon idéal de ce plat, doux, subtil, délicieusement féminin.
Ce qui m’a impressionné c’est que Georgiana a su « apprivoiser » les caviars pour qu’ils soient parfaitement intégrés aux plats. C’est, je crois, la plus belle composition de repas où le caviar est toujours en cohérence parfaite et non pas ajouté comme un voyageur clandestin.
Je suis content car aucun de mes vins n’a été hors sujet. Le plat le plus difficile à accompagner était le premier et le vin jaune est venu au secours du Jurançon.
Les discussions avec des participants que je ne connaissais pas ont été animées et passionnantes. La cheffe a réussi un beau repas dans une ambiance souriante.
Ce fut un beau dîner de la Manufacture Kaviari.