Sur une impulsion qui éclate généralement vers 18 heures, l’envie d’aller dîner me prend. L’Ecu de France à Chènevières se fit rare récemment. L’occasion d’y succomber s’impose. J’appelle mon épouse. L’accord est pris. Nous nous y retrouvons. Cette maison anglo-normande donne l’impression que des amours coupables ou ancillaires s’y sont consumées. On imagine quelque cousette sentant bon la lavande d’un parfum banal éparpiller ses cheveux sur des draps lourds et chaleureux après l’ivresse d’un Chambertin. L’accumulation systématique de faïences pastorales cache mal que des sueurs scellaient là des alliances de l’instant. L’huis à peine passé un chien important et fort noir me scrute le bas-ventre comme s’il était besoin d’un laisser passer. Apparemment l’examen satisfait l’animal. Je suis accepté. Monsieur Brousse, l’auteur d’une cave originale, me tend la liste des vins. Je suis prêt à sauter sur chaque ligne, disant « oh oui, oh oui ». Je choisis la sagesse, Hermitage rouge de Chave 1990. C’est solide, c’est goûteux, ce n’est pas hasardeux. Christiane, la prêtresse des lieux, sait qu’il faudra me laisser officier. Elle fait partie de ce qui m’attache à cette intemporelle étape. La cuisine vient d’être refaite, investissement lourd d’une génération sage. Le chef est enthousiaste, il a cette foi que seuls les vrais possèdent. Le repas va montrer que l’étape en a franchi une. Le vin à peine ouvert a le nez doucereux, mais en bouche il est froid. Le fruit est timide. Une écrevisse pansue trempée dans une bisque intense donne à l’Hermitage une impulsion franche. L’Hermitage devient goûteux, se réveille. Il est grand. Le plat à peine fini, l’Hermitage est de nouveau sur le banc de touche. Les œufs brouillés aux truffes manquent de l’étincelle d’une truffe dense que l’on trouvera plus tard chez Patrick Pignol (voir photo). L’Hermitage attend. Il est dans des tonalités de fruits roses et de pêches, la température acquise ne l’ayant pas débridé.
Un canard sauvage d’une imprégnation gustative impérative aspire l’Hermitage. Le vin devient gibier. L’osmose se fait, et je suis ravi d’être capable de capter quand la chair et le vin parlent la même langue. Quelle animalité ! Il est absolument évident que ce vin commandé lors de notre arrivée aurait mérité plusieurs heures d’ouverture. Mais la virginité du vin timide qui devient pétulant par la suite mérite l’estime. Je le déguste avec ravissement.
L’Ecu de France est unique, possède les vertus de la maison familiale jalousement préservée. La famille Brousse, Christiane, un chef plus que motivé. Tout est là pour que ces restaurateurs comme on les aime, avec leur science des vins, consolident une des plus belles étapes de la restauration de cœur. Cette France de Ray Ventura et ses collégiens, de Gabin chantant « un dimanche au bord de l’eau », cette France de la chaleur humaine ressentie comme un parfum de muguet, c’est celle là dont j’aime jouir. A cet endroit, sur un bras de la Marne.