La rentrée devait être marquée par un événement majeur : un déjeuner à Meursault avec Jean François Coche-Dury, propriétaire du prestigieux domaine éponyme et Richard Geoffroy maître de caves de Dom Pérignon qui m’avait demandé d’organiser cette rencontre de deux grands vignerons. Depuis deux mois j’avais bichonné une bouteille rarissime pour faire découvrir à ces deux personnages des saveurs qu’ils n’ont probablement jamais rencontrées.
Je pars de ma maison du sud et quelques heures après mon départ, Jean-François Coche-Dury m’annonce qu’il est obligé d’annuler notre rencontre pour cause de funérailles. Richard Geoffroy que j’informe m’annonce qu’il ne viendra pas à Meursault. Je m’y rends déçu et dépité car cette rencontre m’excitait au plus haut point.
Mon étape à Meursault est au château de Cîteaux, demeure du 19ème siècle posée sur des caves plus vieilles d’au moins trois cents ans. Le propriétaire m’accueille et va religieusement déposer en cave les bouteilles que j’avais prévues. J’avais pris une chambre pour être sûr d’être à l’heure au rendez-vous de demain, qui tombe à l’eau. De dépit, je vais dîner au restaurant « Auprès du Clocher » à Pommard, tenu par Jean-Christophe Moutet, avec la ferme intention de prendre un grand vin.
La carte des vins est superbe, avec quelques belles pioches. J’en repère une de première grandeur : Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte Georges de Vogüé 1989. Pour l’accompagner, ma commande est : escalope de foie gras de canard poêlée, oignons et asperges vertes en croûte de sésame / pigeonneau élevage de monsieur Bernard rôti aux morilles et purée de petits pois.
Au premier contact, le vin est une ouverture vers le paradis. En lui, tout est velours. Puis il déploie une râpe bourguignonne comme je l’aime. Son éclosion est excitante comme une danse des sept voiles. L’amuse-bouche n’est pas fait pour le vin aussi le pain beurré corrige le tir. Sur des escargots à peine aillés, le vin prend un envol spectaculaire. Il a tout pour lui, le velours, la longueur, la puissance. Il est encore très jeune pour ses 24 ans, et il a une belle étoffe.
Le vin, normalement, c’est le partage. Je suis seul à dîner et je constate qu’étant seul, j’observe infiniment plus de détails que lorsque l’on discute en buvant. Dans ce vin, il y a un peu de quetsche, de feu de cheminée, quelques champignons. Mais c’est surtout sa rondeur, son velours, sa délicatesse et sa complexité qui me ravissent.
Les deux plats sont bons, mais trop compliqués et chargés pour que le Musigny y trouve son compte. Il faut un Brillat-Savarin pour que le vin revive. Je l’ai trouvé beaucoup plus intéressant au début de son éclosion que lorsqu’il devient assis, notable. C’est un vin de grande race, qui, comme les grands vins bourguignons, demande qu’on le comprenne, car il ne se livre pas. On le conquiert. Ce vin aura permis de soigner la plaie ouverte par une rencontre qui ne se fera pas avec deux grands vignerons français.