Lors de notre visite au restaurant la Vague d’Or à Saint-Tropez il y a trois mois environ, j’avais entendu parler d’un repas à quatre mains qui se ferait en cet endroit avec Arnaud Donckele le chef du restaurant et avec Arnaud Lallement, le chef de l’Assiette Champenoise à Reims. Deux places avaient été réservées pour ma femme et moi. Ma femme étant dans l’impossibilité de venir, je me présente seul pour le dîner intitulé « symphonie à quatre mains au fil d’une belle amitié ».
Etant arrivé en avance, je vais saluer les deux chefs tout souriants et je leur lance une invitation à partager une belle bouteille que j’ai apportée, pour l’après-dîner. Ils acceptent avec joie.
J’avais demandé à Thierry di Tullio le directeur de salle, de trouver une table que je pourrais rejoindre, car dîner seul est un peu triste. Il parle à un homme attablé seul, entrepreneur en Normandie et ami d’Arnaud Lallement. Nous dinerons tous les deux à la même table. Ce fut une heureuse rencontre.
Le dîner est présenté, avec l’indication AL si le plat est d’Arnaud Lallement et AD s’il est d’Arnaud Donckele. Les amuse-bouches (AD) : sous l’olivier de Provence, courgettes boule collection au chèvre truffé / sériole et chair d’esquinado / fleur de courgette croustillante / bouillon de cigales de mer au romarin (AD). Les plats : anguilles fumées, jus de cresson (AL) / tomates confites 12 heures, eau de tomate (AL) / pâte Zitone fourrée de truffe noire et foie gras (AD) / homard bleu, oignon paprika (AL) / turbot cuit aux morilles des pins et palourdes (AD) / lapereau au fenouil, à l’absinthe et au lard paysan (AD) / feuille-à-feuille aux fruits rouges (AD) / mignardises autour de la vanille de Tahaa et cédrat (AD).
Nous prenons l’apéritif avec un verre de Champagne Krug Grande Cuvée 162ème édition en jéroboam. L’effet du format de la bouteille est époustouflant car ce champagne a une ampleur qu’il n’aurait jamais en bouteille. Et l’édition 162 mise sur le marché vers 2014 a une maturité qui rend le champagne encore plus noble. Le parfum du champagne est irréellement puissant. C’est ce qui me séduit tout particulièrement.
Dès que l’on mord dans le premier amuse-bouche, on sait déjà que l’on est sur le terrain de l’excellence. Car chaque saveur des amuse-bouches de (AD) est une merveille de précision. On nous propose d’accompagner notre repas avec quatre Krug différents. Nous hésitons, car le budget est coquet, mais nous succombons à cette proposition. Nous aurons donc au cours du repas le Champagne Krug Grande Cuvée 167ème édition en bouteille qui fait vraiment gamin impubère après son aîné en jéroboam, même s’il a un raffinement certain. Le Champagne Krug 2004 est un Krug racé et vif. Il a un magnifique avenir devant lui. Le Champagne Krug Clos du Mesnil 2004 est noble, délicat et fin. Sa longueur est infinie. Le Champagne Krug rosé d’une édition récente (22ème ?) est un superbe rosé à la forte personnalité. Et quand nous sommes revenus au Champagne Krug Grande Cuvée 162ème édition en jéroboam dont le parfum me tétanise, nous avons pu mesurer à quel point l’âge est un apport précieux pour les champagnes Krug.
On comprendra aisément que si nous étions attentifs aux beaux champagnes, nos sujets d’intérêt étaient aussi les plats. Les deux chefs ont un immense talent et sont généreux. Ils ont eu raison d’évoquer l’amitié dans le titre du dîner car tous les plats respirent cette amitié. Il serait vain de juger des plats et de les hiérarchiser. J’ai les yeux de Chimène pour l’anguille fumée et pour le turbot, parce que c’est mon goût, mais chaque plat est une réussite. Il y a une précision des goûts et une lisibilité qui sont communes aux deux cuisines. Ce sont deux champions des saveurs et des sauces. Mon compagnon de table a dû être étonné de me voir pousser des « oh » et des « ah » tant j’étais heureux de ces traits de génie.
Lorsque les convives se sont évaporés, je fais servir le Champagne Dom Pérignon 1973 que j’avais apporté. Et nous trinquons, les deux Arnaud, mon camarade de table et moi, à la joie de cette expérience gastronomique. Commentant les plats et les sensations et évoquant des souvenirs de haute gastronomie. Les sourires des deux chefs font plaisir à voir. Un détail amusant mérite d’être conté. Pour accompagner le champagne, Arnaud Donckele a demandé qu’on apporte des chocolats qui sont arrivés vite puis il a demandé des palets au chocolat. Le serveur a dû mal entendre, car un quart d’heure plus tard arrive pour moi une assiette d’un merveilleux et complexe dessert au chocolat, sculpté et orné d’or. Arnaud n’en revient pas, car la cuisine était fermée depuis longtemps et des cuisiniers sont resté uniquement pour réaliser ce chef-d’œuvre. Je l’ai dégusté avec une infinie reconnaissance.
Le lieu en cet été indien est magique, les serveuses sont compétentes et celle qui nous a annoncé les plats le fait avec pertinence. Maxime Valéry le compétent sommelier a été à l’écoute de nos désirs et généreux pour nous faire plaisir. Le rythme du service des plats de deux chefs a été parfait. De telles expériences gastronomiques sont des moments inoubliables. Vive la cuisine française quand elle est de ce niveau.
le dessert au chocolat fait après 1 heure du matin !