Notre voisine et amie du sud et son mari avaient réuni il y a deux ans quelques amis amateurs de vin sur le thème de Haut-Brion. L’un des participants proposa de nous inviter chez lui à Valence avec pour thème les Hermitage de Chave. Le TGV met Valence a portée quasi immédiate. De ma banlieue est, il est plus rapide d’arriver à Valence que d’aller à la Défense en voiture. Nos amis viennent nous chercher à la gare TGV et nous nous rendons chez eux pour trinquer au futur dîner sur un Champagne Cristal Roederer 2004 servi avec des cannelés puisque nous sommes en début d’après-midi.
Le champagne est une vraie réussite, arborant une belle maturité malgré son jeune âge. C’est un champagne plein, large, serein, très agréable. Et les cannelés servis tièdes sont idéaux avec le champagne. La maison d’Isabelle et Olivier est une merveille de décoration, d’un raffinement remarquable. A 16h30, je descends avec Olivier dans sa belle cave pour choisir les vins et ouvrir les bouteilles. Des amis ont apporté Cristal Roederer 2002 et Dom Pérignon rosé 1993, d’autres un Chave blanc 1989, j’ai apporté Chave rouge 1998 et 1985, plus un Maury Chabert de Barbera 1983. Olivier prend de sa cave Chave rouge 1996 et la fameuse cuvée Cathelin 2009.
J’ouvre les rouges et Olivier les blancs. Les parfums sont sympathiques. Celui du 1985 me semble excitant car c’est le plus mûr de tous. Olivier conduit ma femme et moi à l’hôtel Pic à Valence, où nous sommes accueillis avec le sourire. Denis le célèbre sommelier du lieu, qui devrait depuis longtemps être à la retraite mais rempile pour son bonheur et celui de sa patronne, nous accueille avec joie. Il a prévu pour nous une demi-bouteille de Champagne Billecart-Salmon Brut rosé qui est magnifié de façon extraordinaire par un petit dessert à la rose qui m’émerveille. Etre si goûteux et en même temps si aérien et léger, il n’y a qu’avec Anne Sophie Pic
qu’on peut trouver de telles délices. J’exagère sans doute un peu, mais c’est pour marquer le plaisir de me trouver dans cette maison où j’ai de grands et beaux souvenirs depuis quarante ans, aussi bien professionnels que personnels.
Une bonne sieste et une bonne douche et nous voilà d’attaque pour le dîner sur le thème de Chave.
Le Champagne Dom Pérignon rosé 1993 accompagne des gougères et diverses sortes de jambons, jambon blanc truffé et Pata Negra Bellota. Le champagne est délicieux, plein de charme, mais aussi très affirmé. Il profite bien de ses 22 ans. On le sent gastronomique. Ce doit être un champagne de table, pour susciter des accords couleur sur couleur comme le pigeon. Ses tons de roses sont charmants.
Le Champagne Cristal Roederer 2002 est très différent du 2004 que nous avions bu en début d’après-midi. Le 2004 est carré, solide, le 2002 est plus droit et plus romantique. Les deux sont intéressants. J’ai un petit faible pour le 2004. Le 2002 réagit bien au jambon blanc truffé.
Nous passons à table. Le menu d’Isabelle, notre hôtesse, est : langoustines et velouté de petits pois / filet de buf, sauce et morilles fraîches, pommes de terre rattes / fromages / salade de fraises, framboises et chantilly / cosy chocolat de Debroas / meringues et cannelés.
Deux blancs sont servis ensemble, un peu trop frais, ce qui va changer l’approche lorsque les vins seront plus chauds. Au début c’est l’Hermitage Chave blanc 1989 qui est d’une ampleur extrême et surclasse l’Hermitage Chave blanc 1999. La palme est au plus ancien, avec un vin plus rond, plus profond, plus mûr et plus charmeur. Le 1999 est tranchant mais souffre de sa jeunesse. Et progressivement, c’est la longueur infinie du 1999 et sa vivacité riche d’arômes complexes qui emporte la faveur de la majorité d’entre nous. Le 1999 est vif, cinglant, fait de beaux fruits jaunes juteux et surclasse le 1989. J’ai longtemps hésité car le 1989 est très plaisant, mais le vivacité du 1999 a fait pencher le fléau de la balance en sa faveur.
Sur la belle viande rose à souhait, nous buvons les deux plus jeunes rouges. L’Hermitage Chave rouge 1998 est glorieux. Quelle belle vivacité et quelle richesse ! Ce vin est de plaisir, joyeux, plein en bouche. Un bonheur. J’avais suggéré à Olivier qui a une belle collection de Chave que l’on mette le 1996 en comparaison du 1998 que j’avais apporté. Mais l’Hermitage Chave rouge 1996 a un certain manque d’équilibre, avec un petit côté brûlé, qui empêche toute comparaison. Le 1998 est magnifique, vibrant, un bonheur, comme le 1999 pour les blancs.
L’Hermitage Chave rouge 1985 a un nez que j’adore, montrant la jolie maturité du vin. J’en attendais un peu plus. Il est agréable, subtil, mais comme pour les blancs, pour lesquels le 1989 avait du mal à lutter contre la fougue du 1999, le 1985 rouge a du mal à s’imposer face à l’impérieuse vivacité du 1998.
L’Hermitage Chave rouge Cuvée Cathelin 2009 est un immense cadeau d’Olivier. Le vin est noir lorsqu’il est servi dans le verre. Le nez est de cassis fort. En bouche le vin est d’une richesse folle, emportant tout sur son passage. Ce sont évidemment les fruits noirs qui abondent, mais il y a une fraîcheur, une élégance qui apportent de la noblesse à ce grand vin. Il y a six mois, j’avais jugé ce 2009 beaucoup trop jeune. Force est de reconnaître que celui-ci est beaucoup plus civilisé et accessible. C’est un très grand vin.
Nous avons fini les Chave, aussi sans attendre le dessert et le vin qui l’accompagne, je suggère que nous votions, car il y a un grand tableau noir où je peux marquer à la craie les votes de chacun. Nous sommes huit à voter pour neuf vins, en incluant le Cristal Roederer de l’après-midi, mais sans compter le Maury et les chartreuses qui vont suivre. Sept vins sur neuf ont des votes, les exclus étant curieusement les deux Roederer, peut-être parce que les votants se sont concentrés sur le thème des Chave. Trois vins concentrent les votes de premier, le Chave 2009 quatre fois premier, le Dom Pérignon rosé 1993 et le Chave blanc 1999 ayant chacun deux votes de premier.
Le vote du consensus serait : 1 : Hermitage Chave cuvée Cathelin 2009, 2 – Champagne Dom Pérignon rosé 1993, 3 – Hermitage Chave blanc 1999, 4 – Hermitage Chave blanc 1989, 5 – Hermitage Chave rouge 1998.
Mon vote est : 1 – Hermitage Chave blanc 1999, 2 – Hermitage Chave rouge 1998, 3 – Hermitage Chave rouge 1985, 4 – Hermitage Chave cuvee Cathelin 2009.
J’ai mis le Cathelin en quatrième de mon vote car je pense qu’il a encore tant de potentiel qu’il s’exprimera beaucoup mieux dans quelques années, alors que les 1999 et 1998 sont à un beau sommet de leur art. Je regrette d’avoir suscité les votes aussi tôt dans le repas, car j’aurais mis volontiers le Maury Chabert de Barbera 1983 en tête de mon classement. Ce Maury est merveilleux. Il est fou, car il combine pruneau, café, caramel avec un bonheur rare et sur le délicieux dessert au chocolat, il crée un accord d’une luxure extrême. J’adore ce Maury que je considère comme l’un des plus grands qui soient.
Olivier collectionne les Chartreuses aussi veut-il nous entraîner dans sa passion. Nous commençons avec une Chartreuse jaune titrant 43° d’une bouteille déjà ouverte depuis longtemps, agréable mais un peu éventée. Olivier ouvre une bouteille de Chartreuse Tarragone années 50 absolument délicieuse, riche comme un bouquet de fleurs de printemps. Cette liqueur est intense, d’une densité particulièrement sensible. Les délicieuses meringues, très pures et onctueuses se mangent avec bonheur sur ces liqueurs.
Isabelle est une maîtresse de maison qui nous a reçus avec de belles recettes et des milliers de petites attentions qui font plaisir comme les cannelés, les meringues et tant d’autres choses. Olivier est un hôte généreux, lui aussi attentif à nos moindres plaisirs.
Alors qu’il était plus de deux heures du matin, à notre grande surprise, Denis Bertrand le fidèle sommelier était là pour nous accueillir. Chez Pic, on sait recevoir !
les votes sur le tableau noir
tableau final