A 20 h précises mes convives sont là, juste quand j’avais fini d’ouvrir la Pétrus et mes apports. Comme il fallait s’y attendre, mon ami sommelier avait apporté aussi trois bouteilles. Philippe Faure Brac avait sans doute eu peur d’un avis de sécheresse ; il en ajouta une. Nous voilà installés à trois dans l’immanence sarkozienne de l’éthylomètre inéluctable.
Pour l’apéritif,deux vins d’Afrique du Sud. Le Meerlust Rubicon 1998 cabernet sauvignon, franc et merlot 13° a un joli nez. On sent la tentative de Bordeaux, mais on a un vin typique d’Afrique du Sud, fait d’une attaque assez consistante, d’une belle plénitude, d’une absence de caractère, et d’un total manque de longueur. Le De Toren Fusion Five 2001 Stellenbosch 14°5 fait de malbec petit verdot et des trois autres cépages déjà cités justifie que le nom soit fusion 5, assez rare dans le nouveau monde. Il a au moins un mérite, c’est que c’est le type de vins que je fuis. Qu’il ait son public m’indiffère, car si demain on met en compétition des Portos et des Sauternes, ça n’a pas de sens, l’alcool changeant les critères de compétition.
Merci à mon ami de m’avoir fait goûter ces deux vins, car ils montrèrent avec une magistrale évidence combien Pétrus 1979 est grand. J’avais demandé un cabillaud sur ce Pétrus. La chair fut un extraordinaire faire valoir. Si les circonstances de dégustation ont un sens, le fait d’avoir bu des vins courts et sans personnalité (je suis cruel mais il faut savoir dire non à ces vins excessifs) faisait briller ce Pétrus qui nous apparut d’une qualité extrême. Sophistication, belle complexité, charme, velouté, longueur, tout y était. Un magnifique Pétrus porteur de toutes les qualités. Ce n’est que dans la lie que j’ai retrouvé les caractéristiques de l’année un peu courte, alors que le vin paradait auparavant à un niveau de première grandeur. Grandissime Pétrus. Le vin de Philippe Faure Brac était Pichon Longueville 1953 Ets Gérin et Fils négociants. Objectivement ce vin a dû avoir un stockage un peu chaud. Mais quand on a intégré ce fait là, quel charme. L’ayant reçu à l’aveugle, mon ami le plaçait en Pauillac et en 1955. C’est remarquable tant la blessure de chaleur affectait les repères. Beau témoignage du bordelaisdont on accepte la souffrance.
Que ne pus-je filmer mes amis quand ils accueillirent mon Latricières Chambertin Pierre Bourrée 1955 ! Ils étaient tétanisés car aucun des deux, le sommelier qui a bu des dizaines de milliers de vins, et l’expert reconnu de champagne n’avaient jamais bu de plus grand vin. Largement au dessus de Pétrus, si cela a un sens, ce vin avait tout. Une personnalité rare, une agressivité de Liz Taylor sur un toit brûlant, ce vin était un petit miracle. Mes amis, des sommités du vin, n’arrêtaient pas de dire qu’ils n’avaient jamais rien bu de meilleur. Le test allait venir de Philippe. Nous pensions que Philippe, n’étant pas dans la chaleur communicative de notre extase, et se devant de passer de table en table pour entretenir ses clients, pourrait trouver simplement bon ce qui était du Einstein. Les yeux de Philippe Faure-Brac nous valurent un commentaire de son bras droit en fin de repas : « je ne l’ai jamais vu être enthousiasmé comme cela pour un vin apporté à table ». Nous avions, à ce moment précis, une des plus belles expressions de la Bourgogne, qui laisserait pantois bien des vins plus renommés.
Ce Latricières était mon cadeau, mais j’en avais un autre. Une bouteille très ancienne au cul très profond avec une boule caractéristique du 19ème siècle. Pas d’étiquette, pas de capsule, une belle couleur dorée. Ce devait être un Sauternes d’au moins 80 ans. Je l’avais choisi en me disant : à de vrais amateurs, l’absence d’étiquette importe peu. La couleur est belle. Ce sera grand.
Comme j’étais arrivé avant mes invités pour les ouvertures, l’odeur du Pétrus et l’odeur du Latricières me seyaient bien. Et voilà que j’ouvre et je sens cet énigmatique Sauternes. C’était un Rhum !!! Un Rhum très certainement de la Martinique et très probablement de 1890. Magique, unique, un Rhum qui est une leçon de choses, comme si Michel Ange revenait sur terre pour nous apprendre comment peindre un visage. L’abondance justifiait que je fasse profiter quelques tables de ce Rhum sublime.
Nous étions trois plus Philippe Faure-Brac en pointillé, et il fallait voter. Le vote le plus naturel était : Latricières, Pétrus, Rhum et Pichon. Il fut celui de mes convives. Je n’ai changé dans cet ordre que le Rhum que j’ai mis premier. Pourquoi ? Parce que Pétrus 79 est un vin qui se trouve, parce que ce Latricières est difficile à trouver, mais j’en ai, alors que ce Rhum centenaire si bon est unique. Je serais bien incapable d’en retrouver un de ce grandissime niveau. J’ai donc voté Rhum, Latricières, Pétrus et Pichon, tout en sachant que la vraie valeur vineuse fut le Latricières Chambertin.
Mon ami sommelier ayant de son coté pris des notes, il me parait extrêmement intéressant que vous puissiez profiter de sa version des choses. Cette double vision est une confrontation passionnante. A noter que mon ami a pris des notes à table quand je n’ai écrit le récit ci-dessus que de mémoire. Voici cette autre vision dont je n’ai rien changé :
Nous avons goûté 2 vins de référence sud-africains qui ont obtenu dans le guide John Platter 2004 les 5 étoiles tant recherchées localement « Outstanding ».Le Meerlust Rubicon dont les proportions de raisins dans l’Assemblage ne varient pas (70% cab sauvignon, 20% merlot et 10% cab. Franc)1998 est un excellent millésime, profond et puissant, ce vin fin de fruits noirs, de cassis, au nez de boîte à cigare est encore austère, ce vin sera à son apogée en 2008 ce qui est déjà une performance en soi, les vins de garde sont rares dans cette région du monde, excepté les grands vins blancs liquoreux comme le vin de Constance. De Toren Fusion V doit son nom aux cinq cépages de Bordeaux, un fait rare de cet assemblage unique ici, il n’y a pas d’autres vins de ce type en Afrique du Sud actuellement (57% cab sauvignon, 14% de malbec, 14% de merlot, 11% cab.franc et 4% de petit verdot). 2001 ce millésime est chaud,les fruits sont très présents et concentrés, le malbecapporte cette note suave et réglissée dans ce vin chaleureux, peut-être trop pour mes amis qui n’apprécient pas l’exubérance de ce vin aux notes de fruits noirs compotés et confiturés. Ce vin est équilibré, harmonieux, avec une finale très correcte.
2001 est très riche en alcool et les vins du Nouveau Monde, ne ressembleront jamais à nos Bordeaux, ils ont aussi leur propre identité, et c’est tout le plaisir de la différence !
Pétrus 1979 : ce vin nous a étonné. Beaucoup de fraîcheur et surtout une belle complexité aromatique qui tranche avec nos deux vins de mise en bouche sud-africains. Belle robe sombre, de l’opulence, du gras et du velouté, un vin avec une forte identité, nez de sous-bois humide, de truffe, et bien après le velouté du chocolat et de fruits noirs, le cassis et la prune, une finale droite soulignée par le tabac et une longueur en bouche extraordinaire. Le merlot parfait, sur un grand terroir. L’accord « mets-vins » est superbe, je te laisse le soin François d’en parler !
Pichon-longueville 1953 : ce vin offert par Philippe Faure-Brac est un concentré de matières et d’épices : déroutant. Dégusté à l’aveugle nous avons retrouvé l’origine de ce Bordeaux de Pauillac, mais en citant le millésime 55 : nul n’est parfait ! J’ai apprécié à sa valeur ce beau vin qui n’a malheureusement plus l’avenir devant lui. Son nez de vin fortifié, de porto trahissant un côté réduit qui n’a pas entamé mon plaisir de dégustateur. En bouche, tout est un concentré d’épices, vanille, clous de girofles, poivre : un Pauillac qui a du caractère et du fruit, le cabernet domine avec du cassis, de la myrtille et de la mûre.
Latricières- Chambertin 1955 Pierre Bourée. François nous a mis en langage populaire un grand « coup de pieds aux fesses ! » Comment peut on dénicher un vin pareil, d’une telle dimension. ? La magie a opéré, et je comprends mieux LE BONHEUR qui opère dans tes dîners d’exception. Un grand vin comme ce Bourgogne de 1955 mérite le respect, le silence !! Et, nous avons été terriblement émus par cette splendeur de la nature.Sans nous concerter avec Richard, nous osons dire: nous avons goûté « le vin parfait ».
Désolé François de trahir ta passion des grands vins,permets nous de noter et juger ce vin. Je lui donne 100 points/100. Je n’ai jamais bu un Bourgogne comme celui là avant. Richard Juhlin qui a une mémoire prodigieuse et redoutable dans la dégustation des champagnes, expert très respecté a lui donné une note de 99/100 !
Que dire de plus, que la sauce de cette canette servie « al dente », à base de jus d’orange avec une pointe de gingembre était d’un support incroyable à ce breuvage divin : orgasmique !Bref ce vin, c’estune expressionà la fois du fruit, de la terre, et d’une alchimie que je n’avais pas encore rencontrée. Un nez subtil,un boisé délicat, du musc, des épices, un fruit peut-être un peu confit. En bouche, un côté caressant, un velouté, une suavité savoureuse,mais aussi une grande fraîcheur minérale ! QUE DU BONHEUR
Nous avons aussi également apprécié un grand Rhum que j’évalue à un millésime de 1895, assurément plus de 100 ans, et dont la longueur en bouche est tout simplement incroyable, et d’une belle jeunesse !
Mon classement de mes vins dégustés dans cette soirée :
1 : Latricières-Chambertin 19552 Pétrus3 Rhum « Inconnu »
Voilà ce que dit cet ami. Intéressant de voir que les vins sont mieux définis, plus précis que dans les bulletinsque je vous adresse où l’on décrit plutôt les impressions gustatives. Mais ce qui est à remarquer c’est qu’au bout du compte on se retrouve sur le jugement final, sauf peut-être sur les vins étrangers qu’il accepte mieux.
Gagner un Pétrus en tombola, pour trouver l’extase sur un Latricières Chambertin ! Il y a des soirs, comme celui-là, où une mystérieuse alchimie fonctionne. Ces hasards, ces plaisirs infinis de l’amitié ne se produisent que si on les provoque. Merci Philippe, merci généreux ami de ce sens du partage.