Nous sommes fins prêts et reposés et nous allons à pied de notre hôtel au siège de la maison Bouchard Père & Fils où nous sommes accueillis par Stéphane Follin-Arbelet directeur général et par Géraud-Pierre Aussendou, en charge de la qualité et de la conservation des vieux millésimes. Nous commençons par une visite des caves dont je connais presque chaque recoin. Les vins et les millésimes sont repérés par des codes dont je commence à percer les secrets. Il y a dans cette cave de quoi assouvir les rêves les plus fous de tous les collectionneurs du monde. Sous un ciel éclairé par une pleine lune nous gravissons les marches et les allées pour nous retrouver au sommet de l’une des tours du château de Beaune pour jouir d’une vue nocturne sur Beaune et les environs. Nous entrons dans le salon du château de Beaune dont le parquet est dessiné d’une rare marquèterie. Le champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1995 arrive un peu frais, mais va s’ébrouer. Il est un peu strict mais sa structure est belle. Je le trouve très vineux. Sur des gougères et des feuilletés, il s’anime élégamment. Stéphane nous apprend la signification du mot enchanteleur qui désigne celui qui range les fûts dans la cave et les aligne et qui est supposé se réserver les plus belles cuvées.
Je pensais que nous dînerions dans l’orangerie mais en fait Stéphane nous conduit dans une salle à manger délicieusement décorée. C’est une bonbonnière. Marie Christine a composé un menu simple mais délicat : foie gras de canard mi-cuit / noix de Saint-Jacques au beurre de noisette / volaille fermière aux morilles, riz sauvage / fromages / tarte fine aux pommes et glace à la vanille.
Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1998 est très fruité, offrant un panier de saveurs particulièrement fourni. Il est kaléidoscopique et laisse une belle trace en bouche. C’est un vin solide et serein.
Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1948 est d’un couleur de miel. Le nez est de truffe. En bouche, c’est magnifique. On peut ressentir tant de choses dans ce vin complexe. Je peux puiser dans des souvenirs d’enfance, de muguet, de confiture de framboises. Mais le plus manifeste, c’est l’extrême fraîcheur. Il est assez insaisissable car j’y trouve tantôt du fumé, du caramel, de la brioche, tantôt de la figue, des zestes de citron ou de vieux agrumes. Le vin est enchanteur. L’accord avec la coquille est très fin.
Le Beaune Clos de la Mousse Bouchard Père & Fils 1918 est une appellation qui est un monopole de la maison Bouchard. Sa couleur d’un sang de pigeon est d’une jeunesse invraisemblable comme celle du Pommard 1904 du domaine Parent bu récemment mais qui lui avait son bouchon d’origine alors que ce vin a dû changer trois fois de bouchon durant sa vie, la dernière fois en 1992 par Géraud. Géraud nous explique la procédure de changement de bouchon pour que l’oxygénation n’ait pas de conséquence néfaste.
Le vin a un nez très doux de fruits rouges. Le nez est puissant et Stéphane dit : un nez de terre brûlée. La jeunesse est incroyable et je ressens même de l’astringence. L’un de nous dit même : « quand sera-t-il mûr ? ». Sur mon petit carnet, je n’arrête pas de noter « jeunesse » avec des points d’exclamation. Avec le poulet, le vin est plein de joie. Les fruits rouges, le poivre et les épices abondent et l’on sent des traces de thé et de bois mouillé. Nous constaterons à la fin du repas que ce vin ouvert à 14 heures tiendra sans jamais faiblir jusqu’à la fin du repas.
Stéphane avait choisi pour thème les années en « 8 ». Aussi sur notre menu il est inscrit pour le vin mystère :
« ……………………… 1 . . 8 ».
A nous de compléter les deux chiffres et le nom. Le vin inconnu a une couleur d’un rose ambré, qui semble plus vieille que celle du 1948. Le nez évoque pour moi le vin jaune et pour Géraud le vin de paille. On sent l’alcool et la poire compotée. Très beau, le vin s’étend bien dans le verre. Il évoque les fruits à fleurs blanches, et montre une grande personnalité. Personne n’est capable de trouver le vin mais l’année est trouvée par déduction. C’est un Chablis Bouchard Père & Fils 1888. Il n’a plus grand-chose à voir avec un chablis. On le sent un peu étroit à côté du 1948, mais ses évocations de Château Chalon, de fruits bruns sont plaisantes. Sa persistance en bouche est très grande. C’est un grand vin qui s’évanouit un peu au fil du temps contrairement aux autres. Mais qui aurait pu imaginer qu’un Chablis de 120 ans ait encore cette vigueur de vin ?
Mon ami américain est content que le dessert ait été fait comme si Marie Christine connaissait le vin qu’il allait nous faire déguster à l’aveugle. Nous serons très proches de l’année d’un vin reconnu immédiatement. C’est Château d’Yquem 1975, d’une magnifique jeunesse, à la croisée des chemins entre jeunesse et maturité, très marqué par l’abricot.
Stéphane Follin-Arbelet et Géraud-Pierre Aussendou nous ont reçus de façon absolument remarquable, avec des attentions rares, en ayant choisi des vins rarissimes, que nous ne retrouverons peut-être jamais plus sur notre route. Le Chevalier Montrachet a ma préférence pour le plaisir de ce soir. Le Beaune Clos de la Mousse a ma préférence pour l’extrême surprise de sa vitalité. Le Chablis 1888 est un extraterrestre qu’il faut avoir croisé une fois dans sa vie.
Merci, maison Bouchard de nous faire profiter de vos trésors avec une telle générosité et amitié.