Après cette dégustation des 2010, nous traversons la rue pour aller au château de Beaune où nous sommes accueillis par Joseph Henriot et son épouse, nos hôtes. Le Champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1995 est doré et sent le miel. Il est très confortable et nous fait revenir dans un monde de saveurs assises. Les gougères sont un complément savoureux du plaisir. Il n’a pas encore atteint les vibrations de ses grands anciens comme le 1959 ou le 1964, mais il a une belle personnalité, vineuse, élégante et incisive.
Le menu préparé par la fidèle équipe du château est : amuse-bouche : crème brûlée au foie gras de canard fumé, gelée de pommes / carpaccio de Saint-Jacques, légumes à l’huile d’olive, sauce froide légèrement crémée / pavé de sandre croustillant aux herbes, jus de potiron au curry et citron vert / canette en filet cuit à basse température, glacé au vin de genièvre, polenta aux châtaignes / fromage de Cîteaux / choco-café, tulipe en oublie, glace à la vanille.
Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2003 a un beau nez pénétrant et une jolie acidité. Il est à la croisée des chemins. Il est très jeune, mais ne profite pas encore tout-à-fait de l’empreinte du temps. L’accord est sublime avec la gelée de pommes qui adoucit le gras du foie gras en crème brûlée.
Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1995 est un beau vin blanc qui est dans un état de grâce. Il est solide, mature, serein. Il est : « the right man at the right place ». Il n’est pas aidé par les légumes qui sont hors sujet à côté des délicieuses Saint-Jacques.
Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1961 pianote des complexités rares. Il donne une belle démonstration de l’effet du temps, mais il est moins précis que les montrachets actuels. Il est un peu simplifié. Mais il compense par l’équilibre divin que lui donne son âge. Le pavé de sandre crée un accord magistral.
Le Corton Bouchard Père & Fils 1961 fait monter de trois barreaux sur l’échelle de l’excellence. Ce vin est une leçon d’équilibre et de perfection. Il a tout pour lui. On pourrait se pâmer pendant des heures en dégustant microgoutte par microgoutte ce vin exceptionnel. Mais c’était sans compter avec le vin qui est servi maintenant.
Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1891 est un choc total. On est attaqué par le fruit d’une présence insolente. C’est inimaginable comme il est beau. Et la clef de l’intensité du fruit, que nous explique Christophe Bouchard, c’est qu’il s’agit de vignes préphylloxériques. A la demande d’un des invités présents je dis ce que je pense de ce vin, qui est si jeune qu’on pense à un 1964, mais qui a la maturité d’un 1891. Ce vin est l’idéal de ma démarche, car il démontre que des vins de cent-vingt ans peuvent être exceptionnels. Ce vin est divin, inégalable, même si j’ai un faible plus marqué pour le 1865. En lisant cela, on pourrait penser que c’est un caprice d’enfant gâté, mais c’est un compliment lancé à la plus belle collection de vins de Bourgogne immortels. Ce Beaune Grèves est un monument en l’honneur de l’histoire du vin.
La générosité de Joseph Henriot et de ses équipes est extrême, tout comme celle dont nous avons bénéficié de la part des équipes de Moët & Chandon et Dom Pérignon. Des vins mémorables ont été ouverts et ont vécu leur destin de la plus belle façon. L’histoire du vin, celle que l’on pourrait écrire avec un « H » majuscule, s’enrichit de ces moments inoubliables. Merci vignerons d’il y a plus d’un siècle d’avoir inventé ces trésors. Merci vignerons actuels de savoir les ouvrir à bon escient.
(ces deux photos ci-dessus sont de François Mauss – sur son blog « mabulle »)