Un voyagiste entreprenant, pour qui j’ai déjà organisé plusieurs wine-dinners dont le très original dîner au Yacht Club de Monaco, me demande d’organiser pour un groupe de russes l’un de mes dîners. Il me dit qu’Andrei, le leader du groupe est un grand connaisseur de vins et qu’il aimerait que j’organise trois jours de visites en champagne. Je n’ai jamais fait le guide chez des vignerons aussi l’idée d’une nouvelle expérience me paraît intéressante.
J’appelle des vignerons amis et en cours de route, je me rends compte que coordonner les agendas de vignerons qui sont en vendange et très occupés requiert des talents particuliers et une singulière patience. Comme en amont on m’indique qu’il s’agira de deux groupes dont les tailles varieront tous les deux ou trois jours, on comprendra aisément que je venais de mettre le doigt dans un engrenage qui ressemble à l’assemblage d’un Rubik’s Cube : il y a ceux qui savent faire et ceux qui ne savent pas.
En ce qui concerne le dîner final, la taille du groupe changera toutes les semaines, ce qui modifie la composition des vins du tout au tout. Dans le programme que je propose, j’ai prévu en fin de dîner deux bouteilles d’Yquem 1986 et comme en un match de tennis, un smash me revient à toute allure : « trop jeune ». Je propose alors trois millésimes dont un du 19ème siècle, ne pariant pas trop sur le plus ancien, mais c’est cette proposition qui est retenue.
Tout se met en place avec des changements quotidiens. Je constate que voyagiste, c’est un métier.
Le groupe loge à l’hôtel du Château de Fère, à Fère en Tardenois. On m’annonce qu’un dîner est prévu à l’hôtel et l’on me demande de choisir les vins du dîner avec Andrei, le commanditaire de l’ensemble des événements et Patrice, le sommelier.
Andrei vient me saluer et me montre ce qu’il a bu hier soir au Taillevent : Lafite 1934 et Haut-Brion 1911. Il a préféré le Haut-Brion. Nous bavardons en descendant en cave et je réalise qu’Andrei a une réelle connaissance des vins, ce qui facilitera le contact avec les maisons de champagne que nous visiterons. Ayant le menu en mains je propose des vins de la cave assez pauvre en grands vins mais avec, comme partout, quelques pioches.
Le menu est pantagruélique. Andrei sait-il que nous avons trois jours actifs qui nous attendent ? Les agences de voyage, qui règlent ces éléments d’un programme, veulent bien faire. Et donc, tout au long de notre périple, les menus seront beaucoup trop copieux.
Le menu est : terrine de homard en gelée, anchois blanc en vinaigrette / Coquilles Saint-Jacques, sabayon au beurre de cacahuète / tronçon de saumon, kiwis, poire et truffes / longe d’agneau rôti, croûte d’herbes caviar d’aubergines / fromages affinés du château / Palet de chocolat noir, glace praline, sauce fruit de la passion.
Le Champagne Louis Casters Damery Grande Réserve est le champagne de l’hôtel. Passe-partout, de goût très convenable mais assez court, il est animé par des gougères.
Le Champagne Alfred Gratien Millésimé 1998 a un joli fruit et une complexité plus grande. Beaucoup de russes préféreront le premier champagne.
La forme des bouteilles du Champagne de Venoge Louis XV 1995 est si belle que nous l’avons choisi pour cela. A travers le verre transparent on voit pour les deux bouteilles des couleurs de vins différentes, l’un faisant plus évolué que l’autre. Le champagne est beaucoup plus frêle et simple que ce que nous attendions.
Le Chassagne Montrachet 1er Cru Boudriotte domaine Ramonet 2006 a un nez puissant. Le vin est superbe, puissant, fruité, une bombe de fruits jaunes. J’adore sa présence convaincante. Il occupe le palais avec générosité.
Le Condrieu Guigal 2011 a moins de puissance, avec un message moins complexe, mais je l’aime beaucoup parce qu’il est très cohérent. Il se boit bien.
Le Château Dauzac Margaux 2005 est un très beau bordeaux, plus masculin qu’un margaux. Sa densité est grande, et sa trace est longue en bouche, avec un bois mesuré. J’aime beaucoup.
Le Château de Pibarnon Bandol 2009 apparaît sur les fromages et cela ne lui permet pas d’être mis en valeur autant que je l’aimerais. Il est plus fermé que ceux que j’avais bus pendant l’été.
La vedette incontestable de ce dîner, c’est le Maury Mas Amiel 1980 qui crée un accord diabolique avec le dessert au chocolat. Il a tout pour lui, le café, le cacao, le pruneau, et il a une justesse de ton de rêve. C’est un grand moment.
Après mon discours de bienvenue et de présentation en anglais à l’apéritif, le dîner s’est tenu à 99% en russe, m’obligeant à m’immiscer dans des conversations dont je ne captais rien. Ce repas ne nous aura pas laissé un souvenir gastronomique impérissable. Demain commencent les visites.