On a eu la gentillesse de m’inscrire comme membre du jury qui doit consacrer les meilleurs cavistes du monde. Le concours est parrainé par une grande marque de champagne, Laurent-Perrier. Le jury doit « forcément » préparer les critères de sélection. Est-ce une excuse pour se retrouver ? Oui. Cela se fera dans le restaurant Le Petit Verdot, rue du Cherche-Midi, que Hidé vient de reprendre. Hidé, ex-sommelier de Cordeilhan Bages, était l’âme d’Hiramatsu dont j’ai abondamment vanté les mérites. Injustement privé de la concrétisation de son installation dans l’ex-Faugeron, il a racheté ce petit local où il fera, j’en suis sûr, une immense cuisine. Nous nous retrouvons, avec Didier Depond, l’âme (lui aussi) de Salon (mâtin quel champagne comme dirait Gotlib dans Pilote), avec un sommelier historique et talentueux, avec le président de l’association des cavistes indépendants, avec quelques autres membres du jury, et nous travaillons. Les arrivées des jurés s’étalant sur une plage extrêmement longue, nous attendons les tardifs avec un nombre coquet de Laurent Perrier Grand Siècle. Ça coule tellement bien ! Celui-ci doit être un assemblage de 1995, 1997 et 2000. Une attaque résolument champagne, avec une densité en bouche magistrale. Le final est un peu plus discret, mais cette expression de champagne est d’une sincérité extrême. Le menu n’est pas fait, je regarde la carte des vins où Hidé a encore un peu trop le souvenir des prix des grands étoilés, et j’ai un déclic. Il nous faut le Laurent-Perrier sur l’andouillette AAA et peut-être plus de A, et un Chambertin Armand Rousseau sur la lotte. Comme Hidé n’a qu’une seule bouteille de 1992, on prendra 1995 et 1992.
L’andouillette est malheureusement associée à une sauce vinaigrée aux oignons. Il eût fallu une andouillette dans sa pureté, car le Laurent Perrier Grand Siècle ne demande que cela.
Avec la lotte, le Chambertin Armand Rousseau 1995 brille de façon exceptionnelle. Ce vin prend aux tripes. Sensuel, charmeur, intense, il trouve un écho dans la chair lourde du poisson qui est purement transcendantale. Peu des participants, grands experts devant l’éternel, auraient osé ce mariage qui s’est révélé de rêve. J’avais peur que le 1992, nettement plus mûr, ne rebute mes collègues du jury. Or en fait tout le monde suivit avec bonheur ce vin déjà plus affirmé, sans marquer la moindre réticence. Le vin avait une telle trace lourde et magique en bouche qu’aucun dessert ne s’imposait. Une ravissante convive ayant réclamé du sucré, du chocolat accueillit un Porto Taylor 1999 de charme évident. Fut-on studieux ? Je ne sais pas, car les occasions de se dissiper par des anecdotes passionnantes étaient nombreuses. Mais on se souviendra de ce dîner chez Hidé, au petit Verdot, table qui sera demain (elle l’est déjà) une table incontournable.