Probablement en 2003 j’ai rencontré, lors d’un dîner autour du vin, Aimé Guibert le créateur du Mas de Daumas Gassac qui avec l’appui de l’œnologue Emile Peynaud a eu l’idée de faire du vin en utilisant le cabernet-sauvignon, ce que personne n’avait fait avant lui. Nous avions bavardé et une amitié épistolaire est née car Aimé, qui lisait chacun de mes bulletins, les commentait dans des lettres dithyrambiques, m’inondant de compliments que je ne méritais sans doute pas. J’en cite un, juste pour que l’on situe : « quel talent d’écrivain, comme un mélange de Colette et de Dumas. Vos phrases sautent au visage ou à la bouche, mais d’abord à l’esprit ».
C’est cette amitié sans doute qui a fait que je suis invité, avec la fine fleur des experts en vins et journalistes du vin à une dégustation de 27 millésimes du Mas de Daumas Gassac à Aniane.
Ayant ouvert il y a plus de dix ans toutes les bouteilles d’une mythique dégustation de 56 millésimes du Clos de Tart, j’ai proposé de participer à l’ouverture des bouteilles, mais en fait Roman Guibert, l’un des quatre enfants d’Aimé qui travaillent au domaine, a préféré utiliser sa méthode et j’ai compris lors de l’événement les raisons de ce choix. Les bouteilles sont ouvertes la veille à partir de 17 heures et rebouchées avec un bouchon spécial et un Coravin qui permet de faire le vide dans le goulot. Les bouteilles sont rouvertes le jour de la dégustation à 8 heures, versées dans les verres que l’on recouvre d’une coiffe en carton. La dégustation démarre à 9 heures.
Je suis invité à assister à l’ouverture des vins et à valider des bouteilles, soit en sentant les vins, soit en goûtant s’il y a un doute. Compte tenu du nombre de dégustateurs il y aura trois bouteilles par millésime, ce qui veut dire que les résultats de la dégustation pourront varier. Mais on saura à qui chaque bouteille est attribuée ce qui permettra de recouper les avis. Une quatrième bouteille de chaque millésime sera en réserve, non ouverte, pour le cas où.
Il y a cinq ou six ouvreurs et cela va très vite. Les millésimes après 1991 sont ouverts au tirebouchon classique et les millésimes de 1991 à 1978, date du premier millésime du domaine sont ouverts soit au bilame soit au Durand. Je demande de pouvoir faire une expérience, celle d’ouvrir l’un des vins selon ma méthode et de comparer le lendemain entre la bouteille officielle et celle que j’ai ouverte. Ce sera un vin de 1986.
Avec Roman nous nous rendons à l’hôtel Restaurant de Lauzun au prieuré Saint-Jean de Bébian à Pézenas, tenu par le chef étoilé Matthieu de Lauzun. Comme nous sommes arrivés en avance, nous buvons un Champagne Larmandier-Bernier Vieille Vigne du Levant Grand Cru 2008. C’est un blanc de blancs extra brut. Il a une personnalité impressionnante et une longueur quasi infinie. C’est un grand blanc de blancs très expressif.
Les invités arrivent et notre table est très cosmopolite. Il y a des journalistes connus qui écrivent sur le vin dans les revues les plus lues, une critique du vin anglaise, une Master of Wine chinoise, un français Master of Wine qui officie en Chine, un autre Master of Wine allemand, d’autres professionnels anglais, un homme du vin de Nouvelle-Zélande et un Instagrammeur français très actif. Ils sont tous experts en vins.
Le menu préparé pour les vins est : saumon de fontaine de la ferme aquacole de Condax, concombre, cacahuète et pulpe d’échalote confite / cabillaud de ligne de Bretagne sur l’idée d’une tielle, safran tomate et poulpe en beignet / le faux-filet de pure race Aubrac grillé, gâteau d’aubergine et condiment menthe, feta, crispy tandoori. Le jus simple / pêches et brugnons d’ici comme une tarte, amandes amères et financier à la pâte d’amande.
Le chef a du talent et de beaux produits. On sent que les plats ont été étudiés pour se marier avec les vins, mais bien souvent une palette d’ingrédients trop vaste rend l’accord moins lisible, sauf pour le dessert qui épouse les complexités du vin.
Nous commençons par un Mas de Daumas Gassac rosé Frizant 2022 qui est pétillant et de belle fraîcheur, un agréable début de repas. Le service des vins est fait par Matthieu Baas, sommelier très compétent.
Le Mas de Daumas Gassac blanc 2021 est d’une grande richesse et d’un équilibre parfait. En le buvant, j’ai pensé que si ce vin était présenté sur les tables des restaurants de la Côte d’Azur il ferait un tabac, car à cet âge, il a une maturité qui surpasse tous les blancs de Côtes de Provence. Je m’en suis ouvert à Roman qui m’a dit qu’il aurait du mal à fournir les quantités nécessaires pour s’imposer dans cette région. Le saumon est superbe et colle bien au vin blanc
Le Mas de Daumas Gassac blanc 2004 se marie divinement au cabillaud parfait. Alors que le 2004 a 20 ans quand le 2021 a 2 ans, je trouve des maturités très proches, vins solides et riches. Les deux sont excellents, l’accomplissement du 2021 étant étonnante.
L’Aubrac est brillant et le Mas de Daumas Gassac rouge Cuvée Emile Peynaud 2015 est éblouissant. Quelle richesse. L’étiquette indique que ce vin est du cabernet-sauvignon de la parcelle la plus pauvre du Mas de Daumas Gassac, la vigne de Peyrafioc, en hommage à Emile Peynaud. Une fois de plus je suis enthousiaste pour la sérénité et l’équilibre de ce vin riche et gourmand. A ce stade, je n’ai que des avis plus que positifs.
Le Mas de Daumas Gassac vin de Laurence 2021 est un de ces vins de liqueur aux vendanges en surmaturité que les vignerons aiment à ajouter à leur gamme de vins. Il est charmant, aimable, combinant amertumes et douceurs, et se marie totalement aux amers et douceurs du dessert.
Après une nuit dans un hôtel de Pézenas, nous nous rendons au Mas de Daumas Gassac pour la dégustation verticale de 27 millésimes des rouges du domaine, depuis le premier vin de 1978. La préparation est impressionnante, chacun ayant 27 verres devant lui, posés sur des ronds dessinés à la dimension des pieds de verre, avec le numéro du millésime inscrit devant le verre, et un chapeau de carton couvrant les verres. C’est une très belle organisation.
L’un des fils Guibert explique qu’une fois tous les dix ans le Mas de Daumas Gassac veut vérifier où il en est de sa démarche en faisant goûter les vins rouges par des experts. C’est une remise en question. Plusieurs experts ont assisté à la précédente verticale d’il y a dix ans et certains ont fait plus d’une verticale. Nous avons deux heures pour jauger ces vins et fournir en fin de session les cinq préférés.
Les années goûtées sont :
22 21 20 18 16 15 12 11 10 09 08 07 05 03 01 98 97 95 94 91 88 86 85 84 82 81 78.
J’ai bu les vins du plus jeune au plus ancien.
Ma façon de juger est très différente de celle des experts comme je le constaterai en écoutant leurs explications très sérieuses, documentées et compétentes. J’ai personnellement analysé en fonction de cette question : « aimerais-je boire ce vin maintenant ? ». C’est donc une approche très différente puisque les experts jugent sur le potentiel du vin quand je regarde ce que le vin m’offre à l’instant. De ce fait, comme il est arrivé lorsque je passais les examens du baccalauréat et les concours des grandes écoles, j’ai remis ma copie le premier. Ce n’est pas un signe de compétence évidemment.
D’une façon générale j’ai trouvé que l’effet d’épanouissement d’un vin par l’âge joue très peu. Le vin prend très vite sa structure et la garde au fil des années. La solidité est là très vite, comme j’ai pu le constater au dîner d’hier. Ma réponse à la question « comment qualifiez-vous ces vins ? » a été : « vins de caractère, solides, très droits, vins de gastronomie ». Je pense que la bonification par l’âge arrivera plus tard, car les vins, même le 1978 sont encore dans une belle éclosion.
J’ai fait un premier tri de ceux que je préfère : il s’agit de 16 12 09 03 94 91 86 85 84 82.
Voici mes commentaires sur les cinq premiers de mon vote, dans l’ordre :
1985 : nez intense, très beau vin qui a tout pour lui. Large, équilibré, grand. Très grand équilibre.
1982 : attaque très plaisante, vin agréable et joyeux. Joli nez élégant. Très agréable et accompli
1991 : nez assez riche, belle fluidité, élégant. Bouche équilibrée. Vin très agréable, plus original que les précédents
1994 : nez beaucoup plus plaisant, vin accueillant, agréable et d’un beau final. Vin différent, pas typique et séduisant peut-être par ses petits défauts
2003 : nez très vert. Belle fluidité, belle personnalité. Beau final.
Lorsque j’ai goûté le 1986, j’ai demandé qu’on m’apporte celui que j’avais ouvert moi-même et laissé dehors sans rebouchage. Il est beaucoup plus ouvert et large que le 1986 officiel et j’ai alors compris pourquoi Roman Guibert tenait à sa méthode, parce que les experts jugent la structure et l’avenir de chaque vin et non pas sa prestation du moment. Ma méthode ne correspond pas à l’objectif du jour.
Les nombreux experts ont présenté leurs visions des vins et ont été extrêmement laudatifs. La singularité du Mas de Daumas Gassac impressionne beaucoup d’entre eux.
Chacun a donné ses préférés, je pense que plus d’une vingtaine des vins figurent dans les votes très différents. Les années qui sont présentes le plus souvent dans les votes sont 1982, 1988, 1986, 2011, 2012, 2020. Je recevrai le résultat final dans quelques jours.
J’ai eu la chance de bavarder avec la femme d’Aimé, mère de cinq garçons dont quatre travaillent au domaine. Un repas était prévu ainsi qu’une visite des vignes. J’ai présenté mes excuses car mon fils venait nous rendre visite dans ma maison du sud. Je me devais de le rejoindre.
Accueil charmant, organisation parfaite de la dégustation, grands vins. Tout amateur se doit d’inclure Mas de Daumas Gassac dans sa sélection de grands vins.