Descendu dans le sud, j’invite avec ma femme des amis d’Hyères et de Giens à dîner à l’Hôtel des Roches à Aiguebelle, au restaurant de Mathias Dandine. Pour ne pas devoir s’y rendre à trois voitures, j’ai le réflexe écologique du covoiturage, ce qui me pousse à proposer que l’on prenne l’apéritif chez moi. Il faut toujours utiliser les arguments les plus « citoyens » pour faire ce dont on a envie. J’ouvre un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 en magnum qui par cette belle journée d’un été qui commence se boit avec un infini plaisir. Je suggère à mes amis de comparer les formes que prend le champagne tantôt sur la poutargue, tantôt sur des toasts au foie gras, ou bien encore sur du jambon de Parme ou de la rosette de Lyon. Ce qui révèle le mieux l’excellence du champagne, c’est la rosette, qui l’épanouit et l’élargit. La poutargue lui donne une expression plus virile, le rendant plus strict, mais très intéressant. Le foie gras est politiquement correct, sans véritable ajout à la pureté du breuvage. Ce beau champagne est goulu, typé, fort et long. Nous nous rendons à l’hôtel des Roches. La mer est calme et Mathias Dandine a le sourire d’un homme heureux. Nous prenons un nouvel apéritif sur la terrasse. Je choisis un Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1999. C’est normalement un des grands champagnes que j’aime, mais ici, il se présente un peu guindé, timide, et le souvenir du Henriot ne l’avantage pas. C’est évidemment un grand champagne de belle personnalité, mais ici peu à son avantage malgré les délicats canapés gourmands préparés par le chef.
Nous passons à table et la grande question qui se pose est la suivante : vais-je choisir les vins en fonction de suggestions de plats du chef, ou fera-t-on l’inverse, le chef s’adaptant à mon choix de vins ? Après un assaut de politesses, il est décidé que je choisisse les vins dans la carte qui m’est tendue par le nouveau sommelier Arnaud, et Matthias créera sur ce choix.
Les vins que je repère dans la carte sont un Domaine d’Ott Clos Mireille 2003 en magnum et un Château de Pibarnon Bandol 1990 en magnum.
Voici le menu créé pour nous par Matthias Dandine : amuse-bouche gourmand / fin velouté d’asperges vertes et croq’truffe / cocotte de langouste aux haricots rouges, Thermidor et salade d’herbes fraîches / le cabillaud cuit au lait, purée de pommes de terre à l’huile d’olive, truffes d’été du Haut-Var / cochon noir de Bigorre »cul noir », « façon contemporaine » / tarte fine d’abricots et sabayon granité au romarin et émulsion d’abricot. Il y a dans ce menu de petites merveilles.
Arnaud est nouveau et m’a étonné quand il a ouvert les vins seul dans son coin, sans être venu présenter les flacons. Ceci nous aurait évité une situation que je déteste, c’est que le Clos Mireille qui nous fut servi est un 2004, « détail » dont je ne me suis aperçu que lorsque j’ai demandé à photographier les bouteilles. Ce « détail » est à corriger au plus vite. Malgré ce changement non annoncé, le vin est bon. D’une couleur d’un jaune citronné presque vert, d’un nez qui annonce les grillons qui sortent de leurs chrysalides, ce Domaine d’Ott Clos Mireille 2004 en magnum est chaud en bouche, plein d’aplomb, et malgré sa rusticité par rapport aux blancs que je bois en hiver, je lui trouve beaucoup de talent. Sur le velouté d’asperges, j’ai gardé quelques gouttes de champagne, et sur le « croque-truffe », le blanc est fou de joie comme le chien à qui l’on jette une balle pour jouer. Sur la langouste charnue, dense, le vin s’adapte à merveille. Les haricots rouges qui ont cuit dans la cocotte sont délicieux, et le vin les aime.
Le cabillaud est un plat d’une réelle perfection. On est dans un monde raffiné et Matthias me dira plus tard : « j’aurais pu dire sans vous entendre que c’est ce plat que vous préféreriez ». Ce plat convient au blanc de belle matière, avec un citronné délicat mais aussi des évocations de fruits jaunes charnus. Mais il était imaginable que le Bandol rouge accompagne ce plat.
Le Château de Pibarnon Bandol en magnum 1990 est un vin joyeux, riche, de forte densité qui offre un velouté confortable. Il appellerait une tapenade tant il chante le sud. Sur le cochon, il est à son aise, car le gras de la viande lui convient. Goûteux, mâchu, il réjouit mon âme.
Ce n’est pas un vin de dessert aussi nous restons à l’eau pour des pâtisseries et des gourmandises qui montrent un réel talent du pâtissier, ce qui est à signaler.
Comme je l’ai déjà écrit, Matthias Dandine a atteint un niveau d’une belle sérénité. Sa cuisine est joyeuse, avec une exécution raffinée. Du fait de sa jeunesse, il n’a pas de nécessité immédiate d’ajouter une étoile à celle qu’il a. Les honneurs et les lauriers tomberont tous seuls dans son tablier. Le service est toujours aussi souriant. L’ambiance à notre table était joyeuse. Une lune rousse s’est levée vers 22 heures derrière l’île du Levant, et s’est placée devant notre table, teintant d’argent scintillant l’onde frémissante de l’une des trois nuits les plus courtes de l’année. Nous avons passé une excellente soirée, guidés par le sourire d’un grand chef, talentueux, ouvert et amical.