Le restaurant Hiramatsu a changé d’adresse. Il reprend le site de Faugeron où des authentiques passionnés ont écrit de belles pages de la gastronomie française. Je ne peux pas ne pas penser à eux, alors qu’ils se sont retirés. C’est en ce lieu qu’un ami m’a fait découvrir les vins de Henri Jayer, s’étonnant que j’ignore les prouesses de ce vigneron légendaire. J’ai rattrapé mon retard depuis. C’est pour cela que j’ai inséré la photo de quelques bouteilles bues de cette icône de la vinification que je n’ai pas l’honneur de connaître. La décoration du lieu est résolument virile, et ne doit pas détourner de l’intérêt pour la cuisine. Les tables sont bien espacées, ce qui donne un sentiment de luxe précieux. L’accueil de Hide est toujours aussi chaleureux, son français égrené à la mitraillette n’étant compréhensible que par une secte dont je fais partie. La brigade est toute neuve mais remarquablement motivée. J’ai eu l’honneur et le plaisir avec mes convives de saluer le chef qui nous a délivré un copieux menu de belle exécution. Cette cuisine correspond à un tendance que j’apprécie : les saveurs sont simples, voire simplifiées. Il n’y a aucune fioriture inutile, pas de chemin de traverse. On explore la sensation que doit donner l’élément principal du plat. Et pour le vin, c’est évidemment ce que je recherche.
Le parcours est imposant : un petit amuse bouche où est incluse de la chair de pigeon fondante comme un bonbon, une marinade de la mer fumée aux épices, mousse de fenouil et caviar Osciètre Royal, foie gras au chou frisé, jus de truffe, soufflé de homard breton, risotto de truffes blanches, noisette de chevreuil au genièvre, pommes acidulées et gnocchis de marron, vacherin Mont d’Or truffé, barbe à papa caramélisée sur gelée de poire william au champagne. C’est d’un classicisme de bon aloi, c’est le menu d’une installation nouvelle où l’on veut montrer courage et tradition. Si je devais donner un ordre à ces saveurs, je mettrais en un la barbe à papa, car ce sont des souvenirs qui reviennent quand on se colle les lèvres et les doigts, en deux le chou frisé, en trois la noisette de chevreuil et en quatre le risotto de truffe blanche.
Nous partagions ce dîner avec l’un des plus grands experts mondiaux en vin que j’avais rencontrée lors du dîner de Beaune (bulletin n° 121), Jancis Robinson. Elle est, comme son mari, journaliste et les deux ont sorti leur petit carnet de notes, consignant ce qu’ils mangeaient et buvaient mais aussi ce que je disais. Je suis tombé dans le piège, me mettant à raconter mes aventures, alors que j’aurais dû écouter, tant j’avais à apprendre. Stupide orgueil. Il faudra refaire ce dîner et je sortirai mon carnet.
Un Chablis Grand Cru Moutonne, monopole Long Dépaquit 1959 est une bouteille d’un superbe niveau, d’une couleur d’un jaune encore vert, le doré ne prenant pas le dessus, et d’un nez d’une noblesse rare. Opulent, marqué d’une acidité sensible qui s’estompa avec la nourriture, il m’a fait peur l’espace d’un instant, car j’ai craint qu’il ne s’évanouisse, mais pas du tout. La belle cuisine lui a fait développer une palette de saveurs où le beurre la crème et le miel le rendaient chatoyant. Les dernières gouttes de ce breuvage divin se finissant quand arrivait le homard, il n’était pas question de passer au rouge. Un Château Chalon Domaine Henri Maire 1986 que j’avais goûté récemment convenait parfaitement, accompagnant aussi le risotto et sa truffe de la plus adéquate façon. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1993 me fit peur, car son nez, non bouchonné, était trop déstructuré. En bouche notoirement incomplet, nous le fîmes remplacer par une Landonne du même moule, et la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993 se montra nettement plus fruitée chaleureuse et généreuse, facile compagnon du chevreuil. Ce n’est sans doute pas la meilleure année pour ces légendaires Côtes Rôties, mais c’est très grand quand même. L’ambiance fut amicale, enjouée. Nous avons profité de cette cuisine avec plaisir. Une belle expression d’une agréable gastronomie.