Tim est un des plus fidèles de l’académie des vins anciens. Il me propose de dîner avec la fondatrice d’une société d’authentification des vins et de recherche des fraudes que j’ai déjà plusieurs fois rencontrée. Elle connait tous les acteurs (ou presque) du marché des faux, qui ne cesse de s’étendre. Elle est basée à San Francisco mais donne des cours à travers le monde pour former des amateurs à la reconnaissance des principaux pièges à éviter. Nous serons cinq à dîner au restaurant Le Gaigne dont le chef et son équipe sont des amoureux du vin et acceptent nos apports. Régis m’accueille avec un grand sourire. Je lui avais demandé d’ouvrir à 17 heures mon vin, apporté ce matin, et quand j’arrive à 17h30, je vois que le bouchon du Trottevieille 1943 est sorti entier et le parfum me paraît hautement sympathique.
Tim et les trois autres convives de la société de Maureen arrivent ensemble juste avant 20 heures et Tim me montre que tous autres vins ont été ouverts à 18 heures et rebouchés avec des bouchons de verre. On ne peut pas à proprement parler d’oxygénation lente lorsque l’on utilise cette méthode qui me fait un peu peur, avec les agitations des vins pendant le transport. J’ouvre le seul vin non encore ouvert, un Corton-Charlemagne 1990 au parfum tonitruant.
Nous choisissons le menu qui est présenté sur des tablettes électroniques et je n’ai pas eu le réflexe de noter les intitulés des plats. Nous aurons des gambas aux carottes râpées, des cuisses de grenouilles, un merlan à l’artichaut, une belle tranche de veau et une boule fondante au chocolat à laquelle je n’ai pas touché.
Le premier champagne pris sur la carte du restaurant est un Champagne Joseph Perrier Blanc de Noirs Cuvée Royale 2008 qui n’est pas encore très expressif. Nous décidons de le reporter à la fin du repas et nous aurons raison.
Le Champagne Dom Pérignon 1969 que j’ai ouvert une bonne demi-heure avant qu’il ne soit servi, a une superbe couleur d’un or clair et une bulle active. Il avait fait un sympathique pschitt à l’ouverture. Ce champagne racé est un vrai bonheur. Il a une belle tension, une grande vivacité et une palette aromatique infinie. Les Dom Pérignon de la décennie 60 sont de véritables réussites.
Le Puligny-Montrachet 1er Cru Leroy négociant 1978 est une bombe olfactive et en bouche c’est un Etna de puissance. Il est riche incisif, avec une acidité conquérante. C’est un grand vin.
Il est beaucoup plus puissant que le Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990 que j’avais pourtant jugé tonitruant à l’ouverture. Le vin de Bouchard est noble, gouleyant et de grande longueur. On sent le Grand Cru.
Ce qui est étonnant, c’est que le Puligny est plus grand lorsqu’il n’y a pas de plat, et lorsque les cuisses de grenouilles sont servies, c’est le Corton-Charlemagne qui devient le plus brillant. Il crée un accord superbe.
On servira les rouges en deux séries, les deux bordeaux et les deux bourgognes. Le Château Trottevieille Saint-Emilion 1943 est tout en velours. Son parfum est de truffe, et sa bouche est velours, avec une belle intensité.
Le bordeaux apporté par Tom a une étiquette très peu lisible mais on peut lire Château Laroze. La bouteille est ancienne, probablement de la fin du 19ème siècle. Lorsque je goûte, j’ai une intuition : 1923. Pourquoi ? Parce que ce vin est plus que certainement de la décennie 20, mais il n’a pas l’ampleur d’un 1928 ou d’un 1929. Il est un peu en dessous d’un 1926 aussi 1923 me paraît le plus conforme à ce que je bois. Le vin a plus souffert que l’autre Saint-Emilion, mais il y a un charme dans ce vin moins précis que j’adore. Car ce vin « respire » les années 20. Et j’adore ce Château Laroze
Saint-Emilion 1923. J’aime son émotion et son discours subtil, tout en suggestion. C’est un rêve de 96 ans.
Les bourgognes sont moins racés que les bordeaux. Le Nuits Saint Georges Les Didiers Saint-Georges Cuvée Cabet des Hospices de Nuits A. Bichot 1978 a un petit côté brûlé, qui me dérange car il suggère un stockage dans une cave trop chaude. Il a de l’étoffe, mais la torréfaction limite le plaisir.
Par contraste le Corton Grancey Louis Latour 1979 à la couleur claire fait fringuant et primesautier. Il n’a pas l’assise terrienne de certains de ses glorieux ancêtres des années 40, mais il se boit bien, franc et généreux.
Le Champagne Joseph Perrier Blanc de Noirs Cuvée Royale 2008 a profité d’une longue aération et il se montre très agréable et large, ce qu’il n’était pas à l’ouverture. Il permet de poursuivre les discussions dans une ambiance agréable.
Nous nous amusons à voter. Nous sommes cinq à voter pour nos cinq préférés de huit vins. Tous les vins ont des votes sauf le Joseph Perrier, ce qui est normal car c’est le seul vin jeune. Le Dom Pérignon 1969 recueille trois votes de premier, le Puligny 1978 un vote de premier comme le Laroze supposé 1923.
Le classement du groupe serait : 1 – Dom Pérignon 1969, 2 – Puligny-Montrachet Leroy 1978, 3 – Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990, 4 – Château Trottevieille 1943, 5 – Château Laroze 1923.
Mon vote est : 1 – Château Laroze 1923, 2 – Puligny-Montrachet Leroy 1978, 3 – Dom Pérignon 1969, 4 – Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1990, 5 – Château Trottevieille 1943.
Le chef Mickaël Gaignon a fort opportunément adapté ses recettes pour que les plats soient harmonieux pour les vins. Les cuisses de grenouilles désossées et le poisson sont deux plats remarquables.
Régis et toute l’équipe ont fait un service joyeux et convivial. Ce repas impromptu, organisé sans savoir qui apporte quoi, grâce à la générosité de Tim, fut un très grand repas.