Il y a longtemps que nous n’avions pas vu Jean-Philippe, ce médecin qui cuisine comme un chef trois étoiles et qui nous a cornaqués dans des endroits de haute gastronomie. Le rendez-vous est pris au restaurant le Petit Verdot, tenu par un ancien sommelier et directeur de talent que tout le monde appelle Hidé. De retour de voyage, Jean-Philippe n’a pas le temps d’aller chercher un vin. J’en fournis deux, et Jean-Philippe nous invitera. Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1973 n’est pas assez frais à l’ouverture, aussi quelques défauts apparaissent qui disparaîtront dès que le champagne sera frappé. Hidé l’aime immédiatement. J’aurai besoin de quelque temps pour l’apprécier, car le début est très champignon, sous-bois, avec la joliesse de l’âge, mais un petit coup de fatigue. Quand il a atteint sa température idéale, le pétillant prend de l’ampleur, ainsi qu’un vrai coup de jeunesse. Il a éliminé ses défauts, et le champagne est assez strict, minéral, marqué aussi par l’onctuosité d’un dosage assez fort. L’élégance du champagne est certaine, avec une jolie retenue d’amertume, et la pureté en bouche est certaine. On imagine volontiers des fruits violets comme la quetsche.
Le menu d’Hidé est ainsi composé : mousse de girolles et sot-l’y-laisse / ris de veau rissolés, salsifis aux oignons, jus de veau aux épices / lièvre au foie gras, sauce vin rouge / bavarois de mangue et gelée d’agrumes.
Les champignons sont exactement calibrés pour faire vibrer le Taittinger 1973 qui s’améliore de seconde en seconde. Il finira sa trajectoire sur le dessert.
La Romanée, Monopole de mise du domaine de la Romanée, réserve A. Bichot 1969 a un nez à se damner. Que peut-on imaginer de plus noble que ce nez là, minéral, d’une tension extrême, promettant un grand vin. Quand je le goûte, j’ai le type de frisson qui signe un grand vin. Il est d’une expression d’intense accomplissement. Il est minéral. Il a un fruit serré. Sa longueur est extrême et ce qui frappe, c’est l’élégance du discours. Je suis aux anges et Jean Philippe aussi. Ce qui va nous marquer, c’est que son parcours ne subira aucun fléchissement. J’avais peur que le lièvre très prononcé ne tue le bourgogne mais il n’en est rien. C’est le vin qui domestique le plat viril et délicieux et pas l’inverse.
Ce vin est d’une subtilité à nulle autre pareille, Il a la noblesse et l’élégance qui conviennent à sa rareté. Hidé nous dit qu’il n’a jamais bu une Romanée de ce niveau. C’est vrai qu’elle est exceptionnelle de raffinement. Le dessert cohabite très bien avec la fin du champagne qui a atteint son plateau d’excellence, où les défauts de départ se sont estompés. Je persiste à penser que le champagne n’est pas parfait malgré tout, alors que La Romanée est à un niveau d’excellence extrême. Savoir que Jean-Philippe et moi, nous avons vibré de la même façon sur ce vin, c’est un plaisir de plus. C’est déjà un cadeau de Noël.