C’est par Kristoffer que nous avions pu l’an dernier disposer de la magnifique table du premier étage du restaurant Noma. A cet étage, il n’y a qu’une vaste cuisine et une pièce donnant sur l’eau avec une seule table. Nous aurons cette même table privilégiée. Il était donc légitime de demander à Kristoffer de se joindre à notre groupe de sept. Alors que je suis en pleine sieste Kristoffer m’appelle et me demande si nous sommes prêts pour demain. Je lui réponds : » ce n’est pas demain mais ce soir ». Kristoffer a fait une fâcheuse méprise. Nous serons sept seulement.
Le taxi nous dépose sur le quai devant un immense entrepôt qui a stocké jadis de la graisse de baleine. Mats nous attend sur le seuil et, selon le rite, nous conduit à travers les cuisines du rez-de-chaussée puis au dehors pour rejoindre l’escalier qui monte au premier. Toute l’équipe nous salue et je suis une fois de plus impressionné par les larges sourires de toute l’équipe. René Redzepi est lui aussi tout sourire et nous salue chaleureusement. Il n’a pas 35 ans et a constitué une équipe qui compte 26 cuisiniers et 37 stagiaires d’une vingtaine de nationalités. L’un des chefs, irlandais, nous dira plusieurs fois avec insistance qu’il regrette qu’aucun stagiaire français n’ait envoyé de lettre de candidature. Notre pays n’a jamais été représenté dans la plus ingénieuse cuisine du monde.
Au premier étage, le service sera assuré par Mats, dont la connaissance des vins est impressionnante, et par Kro, une jeune danoise rousse souriante et très concernée . Dans les conditions d’inscription à cette fameuse table, il est dit qu’il faut assurer un minimum de recette au restaurant, et l’absence de Kristoffer pourrait poser problème. Pour atteindre ce quota, on demande une pré-réservation des vins. C’est assez surprenant. Nous avions soumis notre copie il y a quelques jours. On aimerait un peu plus de décontraction dans l’approche financière des inscriptions.
Le menu est toujours d’une folle imagination et d’une exécution remarquable. Les cuissons sont divines, comme celle de la langoustine, et les goûts sont forts comme celui des délicieux petits pois. J’ai été fortement décontenancé, troublé, voire agacé parce que les treize amuse-bouche se sont succédé en un rythme effréné : tous servis en vingt minutes. Alors, on ne sait jamais où l’on en est d’autant que les explications en anglais ne sont pas toujours faciles à comprendre. Ce n’est qu’après la pause qui suit ces treize services que le repas – à notre demande – a repris un rythme acceptable.
Il y a dans cette cuisine un souci louable de perfection. Les horaires de cueillette des plantes locales ou des herbes de plage sont choisis : certains stagiaires se lèvent à trois heures du matin pour cueillir des plantes au réveil, d’autres sont cueillies quelques minutes avant le service. Le crabe est cuit juste en début de repas. Le pain fume encore quand on s’en saisit, car il est fait à la dernière seconde. La recherche de la perfection est permanente. Des plats sont les mêmes que l’an dernier et d’autres sont des nouveautés. Mais à la fin, je ressens comme un manque. La gamme de goûts explorés est quasiment toujours la même : on veut du naturel, de l’authentique, du local, et la pureté prime sur le goût. De temps à autre, on aimerait du gourmand, du charnu, et sortir d’une palette aromatique somme toute assez limitée. Alors, l’impression d’avoir fait le tour du monde de René Redzepi apparaît, et c’est un peu dommage. Car ce chef a un tel talent qu’on aimerait le voir explorer des voies complémentaires où le plaisir compte autant que l’authenticité. Pour l’instant l’envie de revenir une troisième fois ne s’impose pas. Mais René est si jeune et si inventif que l’envie nous reprendra un jour, si l’on apprend qu’il explore d’autres pistes. C’est mon souhait le plus cher.
C’est un ami qui a consciencieusement noté le menu, mêlant le français et l’anglais au fil des explications. J’ai laissé son texte « dans son jus » spontané. La succession des plats est impressionnante : Croustillant Malt flower and Mousse / Mushroom reinder dusted with cepes / fresh pork skin and a thin slice of black current / Cookie fromages suedois herbes ciselees coriander / Sandwich crispy potatoes black trumpet roasted chicken liver mushroom on top / Blue muscle top shell remoulade danish pickle celery / Foie de morue caramelised milk chips / Sandwich crispy rye bread lump fish peau poulet grille fromage danois / Oeuf de caille pickled and fumé / Radis et jeunes carottes terre chicorée mangeable goat milk yogurt and grass / Beignet pickled cucumber poisson finlandais / Fibres de veau crème fraiche sea weed powder /Peau de morue vinegar powder surnageant de gras de canard / Butter de Suède arrêté avant totale séparation petit lait /Saindoux oignons, pain maison /Petits pois purée épinard thé camomille miso a partir de pois jaune fermentés et herbes de la plage (coriandre) verveine citronnée / Crabe de Norvège gelée de raifort feuille capucine jaune œuf 68 degrés thé verveine purée persil / Tartare organic Danish tenderloin horseradish graine de moutarde genièvre oignons tarragone oxalis / Langoustine Norvège émulsion huitre persil /Poudre d’algue séchée un an / Pétales d’oignons rôtis et cuits sous vide avec beurre green strawberries et pur jus huile de thym / Pike perch sandre verveine and spinach sauce cooked in cabbage leaf au barbecue herbes de la plage nappage sauce aux arêtes / Sélection de légumes au vinaigre carotte miel betterave rose choux rave sauce moelle estragon beurre noisette oxalis /ris de veau sauce cèpes danois groundelder fleur sureau oseille branche turnip / Rhubarbe lait huile de genièvre vert fromage caramélisé de Norvège oxalis / Poire grillée au barbecue herbes et fleurs poire fraiche parfait épines avec genièvre réduction poire thym beurre salé verveine citronnée. Quel voyage au pays des saveurs !
Le Champagne la Colline inspirée extra brut blanc de blancs magnum Jacques Lassaigne sans année est un très grand champagne, profond, pur, de très grande longueur. De plus, il est adaptatif, prenant de la vigueur sur beaucoup d’amuse-bouche.
Le Champagne Les Beaux Regards chardonnay Béréche et Fils brut nature blanc de blancs dégorgé en octobre 2010 sur une base de 2007 est très dur, rêche, mais de grande personnalité. Il se réveille fort à propos sur le délicieux plat de petits pois, un des meilleurs du repas. Il est un peu acide mais il crée un accord splendide sur le crabe.
Le Champagne Les Papilles Insolites Blanc de noirs Jacques Lassaigne sans année est d’une approche très originale. Il est splendide avec le tartare goûteux à souhait formant un accord mémorable. Il est très sec, original et de belle personnalité.
Le Muster Erde vin d’Autriche 2007 servi en bouteille de terre cuite est très troublant. Il est moins brillant que le même bu à la propriété il y a une semaine. Sa couleur est presque orange, son nez est superbe. En bouche on sent de fortes épices, de la pêche, du laurier fumé, créant un bel accord sur le thym et l’oignon. Il est très sec, oxydatif, un peu rêche. Il revit avec le sandre, devenant profond avec la chair de poisson. Il est assez troublant tant il est inhabituel.
Il sert de faire valoir à l’Arbois Pupillin Maison Overnoy Chardonnay 2007 lui aussi très oxydatif mais beaucoup plus charmant, qu’on ne situerait jamais dans le Jura. Il se boit bien, avec gourmandise. C’est un vin de grande profondeur.
Le Chateauneuf-du-Pape Réserve des Célestins Henri Bonneau 2001 est un vin que j’adore, droit, puissant, gouleyant, à la belle fraîcheur mentholée. Il capte le fumé du ris de veau, pour se l’approprier. Ce sera mon vin préféré de la soirée.
La Bulle Gamay, vin mousseux aromatique de qualité maison P.U.R est intitulé « mon produit de beauté » sur l’étiquette où l’on voit une belle qui s’ébat dans une baignoire de ce breuvage anecdotique, que j’aurais du mal à considérer comme du vin, cadeau d’essai de Mats, essai non transformé pour moi.
Le Riesling Vom Horn Mosel Prädikatswein 2009 malgré sa jeunesse est pertinent. C’est le type même du vin allemand de plaisir, bien adapté à la poire et au genièvre.
Avant le dessert, nous sommes allés dans la cuisine du premier étage où une quinzaine de stagiaires épluchent, classent et préparent des composantes de plats. On me montre un cageot où glissent une myriade d’escargots. Nous nous rendons dans une pièce que je ne connaissais pas, qui est à la fois réfectoire des stagiaires, bureau des chefs, laboratoire et lieu de maturation de certaines plantes ou épices. L’un des chefs montre une assiette sur laquelle se promènent lentement, comme anesthésiées, des fourmis vivantes. Il en prend avec une pince à épiler et nous les tend. Qui eût dit qu’un jour je croquerais une fourmi vivante ?
Noma ne peut pas laisser indifférent car il y règne une créativité impressionnante. Des plats font déjà partie de l’histoire de la cuisine. Nous attendrons quelques années avant de revenir dans ce temple de la cuisine créative. Longue vie au talent de René Redzepi.
le cadre
notre table
un tableau posé au sol représente l’atmosphère de la cuisine
Champagne la Colline inspirée extra brut blanc de blancs magnum Jacques Lassaigne ss A
Champagne Les Beaux Regards chardonnay Béréche et Fils brut nature blanc de blancs ss A
Champagne Les Papilles Insolites Blanc de noirs Jacques Lassaigne ss A
Muster Erde vin d’Autriche 2007, en bouteille de terre, bue aussi il y a une semaine lors de ma visite au domaine en Autriche
Arbois Pupillin Maison Overnoy Chardonnay 2007
Chateauneuf-du-Pape Réserve des Célestins Henri Bonneau 2001
La Bulle Gamay, vin mousseux aromatique de qualité maison P.U.R ss A « mon produit de beauté » !!!
Riesling Vom Horn Mosel Prädikatswein 2009
les plats
à ce stade du repas, nous faisons une pause à notre étage, pour rencontrer les stagiaires et cuisiniers, et voir la grande salle qui fait réfectoire, mais aussi lieu de recherche. Ici des stagiaires et le chef qui a accompagné notre repas
Mats, le sommelier et serveur qui a accompagné notre voyage. Le chef explique des recettes à notre groupe
la salle du personnel, multi-usages
et dire que j’ai mangé une fourmi !!!!
le repas reprend
toutes ces photos montrent bien l’esprit Noma, d’exploration de goûts. Avec cette succession de plats, on est attentif à des saveurs. Mais on n’est jamais dans une mouvance gourmande. Une cuisine intellectualisée, aux cuissons parfaites, aux goûts purs, sans la sensualité du bon vivant.