Le lendemain, c’est l’anniversaire de ma fille. Mon fils a réservé une table au restaurant Pages où nous devrions nous retrouver à quatre, ma femme, mon fils, ma fille et moi. J’annonce d’emblée que je ne pourrai pas venir, car le lendemain, je partirai très tôt vers la Suède où va se tenir un dîner aux vins mémorables dont le plus vieux est de 1806. Mais le soir venu, l’idée que je me retrouve seul à la maison pendant que femme et enfants festoient m’est insupportable. Nous nous retrouvons donc tous les quatre au restaurant Pages. Je fais vite préparer les vins que j’ai apportés.
Selon la tradition, le menu n’est pas annoncé. Je le reçois par mail le lendemain matin. En amuse-bouche, dauphine de veau de lait du Limousin, crème au curry / pain soufflé et crème au chou Kale / ceviche de turbot / chips de légumes. Le menu : carpaccio de buf Ozaki / homard breton façon Piña Colada / cromesquis de foie gras fumé au Bincho, purée d’oignons doux grillés / asperges vertes de Sylvain Erhardt, asperges blanches d’Anjou, sabayon et ventrèche ibérique /turbot de l’île d’Yeu, extraits de coquillages, agrumes de Michel Bachès / poulette de Pascal Cosnet grillée sur le Bincho, petits pois et jaune d’uf / le trio de buf grillé sur le Bincho, l’Ozaki, la normande 30 jours, le buf de Galice 60 jours / granité de verveine, granité de coquelicot / crème brûlée glacée à la fleur de sureau, rhubarbe et gariguettes.
Le Champagne Salon 1983 est une divine surprise. On grimpe de six étages par rapport aux champagnes de la veille. Mon fils serait plus tendre avec les champagnes d’hier et j’aime bien qu’il ait cette ouverture d’esprit et cette tolérance. Mais l’écart est bien là. La bulle est active, la couleur est celle d’un champagne très jeune, le nez est riche, joyeux et luxuriant. En bouche, c’est une explosion de bonheur. Ce champagne est fou. Il a tellement de complexités, plus que le Dom Ruinart qui en avait beaucoup, que je suis surpris. Je n’attendais pas le 1983 à ce niveau sublime. Les richesses sont si grandes qu’on ne cherche pas à les analyser. Il est vineux, évoque de beaux fruits roses romantiques, mais il y a bien plus que cela. C’est un champ d’enchantements absolus. Sur le carpaccio d’Ozaki puis sur le homard il crée des accords merveilleux.
Le Châteauneuf-du-Pape domaine du Pégau 1985 a un nez riche et profond, de truffe et de cuir. En bouche, c’est un miracle. J’ai l’impression d’être devant le Châteauneuf-du-Pape parfait. Il est rêche, râpeux à la bourguignonne et d’une complexité que je n’attendais pas à ce niveau. Il a trente ans et aucun jeune Châteauneuf-du-Pape ne pourrait offrir une palette de cette ampleur. Les grands Châteauneuf-du-Pape vieillissent aussi bien que les bordeaux et les bourgognes, et celui-ci est éblouissant. Quand arrive le plat des trois bufs, celui de Galice crée le plus bel accord avec ce vin vif, puissant et confortable.
La cuisine de Ryuji Teshima dit Teshi me plait énormément. Tout est élégant, dosé, intelligent. C’est sur les viandes que j’ai pris mon plus grand plaisir. Il se faisait tard, j’ai quitté la table avant les desserts, car demain l’avion vers la Suède partira très tôt.