Je suis revenu du sud ce matin pour déjeuner avec le journaliste ami dans un restaurant italien et le soir qui suit, je retrouve mon fils pour dîner. Ayant imaginé que le réfrigérateur serait vide j’ai demandé à ma collaboratrice de faire des emplettes et mon fils a eu la même idée ce qui fait que c’est une montagne de victuailles qui nous tend les bras.
Pour l’apéritif, j’ai choisi en cave par un pur hasard une bouteille extrêmement rare d’un Champagne Krug Private Cuvée dont le surtitre est KRUG LIGHT. Cette bouteille doit être des années 40. Le niveau est bas, la couleur est assez grise, vue à travers le verre de la bouteille, et le bouchon semble avoir souffert. Par précaution je l’ouvre une heure avant le dîner et le fil de fer du muselet est si vieux qu’en cherchant à dévisser l’oreille pour élargir le treillis du muselet, l’acier se casse en petits morceaux. N’ayant plus rien à tourner, je suis obligé d’élargir comme je peux le bas du muselet et pendant que je bouge le métal, le bouchon bouge aussi. Ce qui fait que je lève ensemble le muselet et le bouchon qui ne résiste pas. La première odeur est rebutante, un peu viandeuse.
Une heure plus tard au service, le parfum est beaucoup plus sociable. Il n’y a pas de bulle, et la couleur me surprend car elle est beaucoup plus claire et plus dorée que je ne l’attendais. En bouche le champagne se boit bien, ce dont je doutais. Je cherche ce qu’il pourrait avoir de « light » et je ne trouve rien car il a une belle énergie et son finale est riche et extrêmement long. Ce n’est pas un champagne parfait, mais c’est un champagne qui dégage de l’émotion. Avec un foie gras, il se comporte élégamment.
En cours de route, au milieu de bouteille l’acidité augmente mais le champagne donne toujours du plaisir.
Pour un Parmentier de canard cuit au four j’avais ouvert il y a deux heures un vin dont la capsule indique M. Chevillot à Beaune. La bouteille est très ancienne et certainement du 19ème siècle. L’étiquette est quasiment illisible mais je reconnais le mot Chambertin déporté très à droite. Au vu de la typographie et de l’occupation de l’espace, ce pourrait être un Mazoyères-Chambertin ou un Latricières-Chambertin. Pour l’année, je me souviens d’avoir acheté des 1928 de ce négociant mais la bouteille et le bouchon très sec et noirci sur le haut me font privilégier un millésime que je crois pouvoir lire : 1911. Si ce n’est pas ce chiffre je n’exclus pas un vin du 19ème siècle. Nommons-le donc Mazoyères-Chambertin M. Chevillot 1911.
A l’ouverture, le vin exhalait des senteurs peu accueillantes. De l’animal, du vieux. Mais j’avais envie de croire en lui et j’ai pu sentir qu’il se développait bien. La couleur au service est d’un noir intense. Le vin est une bonne surprise car il est bon. On sent un grand vin, noble, qui est comme un athlète sur le banc de touche. Il a toute les capacités, mais il ne joue pas dans l’équipe. Comme mon fils et moi, nous aimons le côté positif des vins, nous percevons son message. En milieu de bouteille on verra même apparaître des fruits rouges, timides, mais ils sont là. C’est sur la fin de bouteille qu’un saint-nectaire va jouer le rôle de docteur miracle, car d’un coup, le vin prend une tension qu’il cachait jusqu’alors. La lie m’a donné un beau plaisir. Il nous a suffi que fugacement il ait des fulgurances pour que nous soyons contents.
Une délicieuse tarte aux pommes a été accompagnée pour mon fils par un Tokaji Eszencia 1988, que je n’ai pas bu. Nous avons conclu ce beau repas par un verre de : Une Tarragone Liqueur des Pères Chartreux des années 20. C’est un élixir, mais en fin de bouteille comme c’est le cas, l’alcool est un peu éventé, tout en donnant, malgré tout une douceur inégalable.