Il faut toujours rester lucide et avoir du recul sur ce que l’on fait. Ma fille cadette arrive ce soir de Paris dans notre maison du sud. Il faut fêter cela. Je sais déjà le champagne que j’ouvrirai. Pour le vin rouge qui accompagnera des viandes de même couleur, j’ouvre la petite armoire isotherme qui stocke à 15° les bouteilles que je pourrais décider de servir sur le champ. Je tends ma main vers une bouteille et je vois Vega Sicilia. Je n’ai pas mes lunettes et je suis incapable de lire l’année aussi j’imagine que c’est une bouteille de Reserva Especial qui est un assemblage de trois années. Ça me convient. C’est celle que j’ouvrirai au dernier moment car en été, j’aime ouvrir les vins riches sur l’instant, qui s’épanouissent très vite et nous enchantent lors de leur éclosion.
L’apéritif débute avec des toutes petites sardines délicieuses et des olives noires au thym. S’ajouteront ensuite des terrines de maquereau et de sardine. Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum sans année a un nez très agréable et sensuel et en bouche, il a une mâche gourmande. Ce n’est pas du tout le champagne romantique auquel je suis habitué. C’est un champagne riche, qui me donne l’impression que la liqueur de dosage se serait transformée en une sorte de sphère de douceur légèrement sucrée. Ma fille évoque l’idée d’un macaron qui lui aussi est approximativement sphérique. De ce fait, le goût du champagne est concentrique et ne vise pas la largeur. Comme il est gourmand il se boit sans fin.
Sur la plancha cuisent des légumes d’été, une hampe et des côtelettes de mouton. Je vais chercher le vin que j’avais choisi « à l’aveugle » et je constate qu’il s’agit d’un Vega Sicilia Unico 1972. Là où j’évoquais le recul nécessaire, c’est que si j’avais eu mes lunettes je n’aurais probablement pas choisi cette bouteille pour ce dîner, attendant sans doute un repas plus structuré. La bouteille est dans ma main, alors allons-y. Je sers le vin qui est plus rouge que noir, d’un beau rouge de sang clair. Le nez est d’un charme absolu, raffiné et noble, évoquant des sensualités sans limite. En bouche, c’est l’extase et avec mon fils nous convenons qu’il transcende La Turque et le Châteauneuf d’Henri Bonneau que nous avons bus récemment. Ce vin est une merveille absolue, d’une douceur rare magnifiée par une cohérence et une cohésion inatteignables. Il a un finale d’une rare fraîcheur avec des notes mentholées. Tout en ce vin évoque la perfection absolue. C’est un défilé des top-modèles de Victoria Secret, mais tempéré d’amour courtois de la carte de Tendre.
Chaque gorgée nous fait prendre conscience de ce que peut être le vin parfait. Car tous les Vega Sicilia Unico que nous buvons d’années récentes sont des chevaux sauvages qui attendent d’être domptés. Or ici, c’est la grâce pure qui s’installe, douce et charmeuse qui ne veut rien imposer. Nous sommes face à un vin parfait. Pas le plus grand des parfaits, mais parfait.
Je l’ai essayé sur un camembert Jort bien mûr et si l’accord est plus pertinent avec des Vega Sicilia Unico plus fougueux, il suffit de calmer en bouche les amers percutants du Jort pour que l’accord soit pertinent.
Face à la mer, avec un verre de Grand Siècle, dans le calme d’une nuit étoilée, avec les parfums enivrants des galants de nuit qui sont en avance d’un mois sur leur période de floraison odorante, la vie prend un sens qu’elle ne devrait jamais quitter.