De retour à Paris, une piqûre de rappel chez Guy Savoy. J’y retourne avec trois convives et nous prenons le menu « Textures et Saveurs » qui m’avait tant comblé. Comme pour la deuxième fois à Hiramatsu, l’effet de surprise ne joue plus, or il est essentiel. Ce dîner est un exercice de style sur les goûts et les consistances par un grand chef de talent. L’exercice est réussi et le talent confirmé. Mais il faudrait ne pas le prendre deux fois de suite. Comme Guy Savoy en crée de nouveaux en fonction des saisons, il y a suffisamment de motifs de s’émerveiller sans qu’il soit nécessaire de faire deux fois ce qui doit rester un moment de surprise.
Un plat magique est celui dont le thème est le veau. On a sur l’assiette cinq préparations distinctes à base de veau. Le mignon de veau est magnifique de tendreté. Le ris de veau est d’une exécution remarquable, et on en mangerait dix fois plus tant c’est bon. Le rognon est extraordinaire. Le pied de veau est magique. Ce plat est un chef d’œuvre. C’est une variation brillante sur le thème du veau.
Le turbot est toujours aussi splendide, même si la surprise ne joue plus comme je l’avais décrite il y a quatre bulletins. Quel plat grandiose. J’ai aimé un clin d’œil d’un extrême raffinement : une betterave apparaît avec une panure de céleri et le céleri le suit avec une panure de betterave. A ce niveau, ces caprices d’artiste m’enchantent.
Le chef est encore plus espiègle avec des carottes qui forment une signature picturale et gustative. Quand un chef se laisse aller à une construction artistique de talent consommé, cela me fait intensément vibrer.
Le menu est à suivre comme un voyage de gastronomie pure, que l’on doit prendre comme une exploration débridée des textures et des saveurs réinventées. Ce n’est pas un repas, c’est un rêve. J’ai aimé l’expérience, car sur un forum où j’écris, j’ai intitulé le compte-rendu de ce repas : « l’ultime gastronomie ».
Une remarque sur le service : on a l’habitude de donner en référence le service de Taillevent comme la perfection absolue. Toute l’équipe de Guy Savoy tend à redéfinir cet absolu. Un détail l’illustre : on met sur table un beurre salé et un beurre doux. Au milieu du repas, quelle que soit la consommation qu’on en ait faite, chaque pot est remplacé pour que l’on ait des beurres bien frais.
J’aime ces attentions. Je parle tellement de ce temple de la gastronomie que j’en oublierais presque les vins, or nous avons voyagé, là aussi, sur l’Everest.
J’ai commandé un Hermitage J. L. Chave blanc 1997, le même que celui pris à Apicius. Magnifique blanc qui traduit des tendances du moment : ce vin arrive à point nommé pour « imposer » un goût archétypal de grand blanc. C’est extrêmement dépouillé, monolithique, et puis ça envoie des messages de complexité grandiose quand le plat s’y prête. Il y a avait dans ce menu des occasions nombreuses de mesurer quand le vin se sent bien ou quand il paresse. C’est sur le turbot qu’il fut le plus à l’aise. Sur la truffe il va bien et l’oursin le chatouille. Extrêmement puissant et fort en alcool il délivrait parfois des notes de Château Chalon, de Xérès, tant la trace aromatique était puissante.
Arrivait ensuite un monstre sacré comme le sont aussi pour moi les grandes Cotes Rôties : Hermitage J. L. Chave rouge 1991. Ce vin a une séduction immense. Au message très linéaire et simplifié comme les grands vins de cette région, il séduit par cette générosité vineuse et encore fruitée. Il est à un point d’accomplissement rare, même s’il en a largement sous le pied. A mon goût, il est plus grandiose que le blanc, car mon palais est sans doute plus sensible aux complexités des blancs de Bourgogne et de Bordeaux. Alors que je me sens très à l’aise avec la sérénité des grands Rhône.
Une soirée d’un niveau gastronomique extrêmement élevé, avec des vins chaleureux de grande classe.