Dîner chez Laurence Féraud du domaine du Pégau
Pendant que nous goûtions les vins d’Henri Bonneau à Châteauneuf-du-Pape, Laurence Féraud ne cessait de recevoir des appels lui disant que ses invités attendaient devant sa porte. Je lui suis reconnaissante de ne pas avoir précipité notre départ, tant écouter Henri est un bonheur d’amateur de vins. Nous arrivons chez Laurence Féraud du domaine du Pégau pour trouver tous les convives qui piétinent mais gardent le sourire.
Il y a dans notre groupe : Céline Sabon, propriétaire avec sa famille du Clos Mont Olivet, Philippe, œnologue et vigneron, Marc, écrivain du vin belge qui tient un blog, les cinq du vin, Michel, président du syndicat des vignerons de Chateauneuf du Pape, Nikos, amateur de vins chypriote, Laurence Féraud, notre hôtesse, et Dan, l’importateur américain des vins de Laurence du domaine du Pégau.
Je dois à la vérité de dire qu’au domaine d’Henri Bonneau, les vins étaient tellement bons qu’ils n’ont pas tous été recrachés et que ce soir nous allons boire l’équivalent de quinze bouteilles à huit. Comme je n’ai pas pris de notes, il est facile d’imaginer qu’il y aura des trous dans la couche d’ozone de mon récit. Je situerai le plus souvent les vins par rapport à ce que j’en attendais.
Le Champagne Billecart Salmon Brut Réserve sans année est meilleur que mon attente. C’est un champagne sans prétention mais très correctement dessiné.
J’attendais beaucoup plus du Champagne Jacquesson cuvée 733 qui est fait de vins de 2005 qui est plat et sans vigueur. Il s’agit certainement d’un problème de bouteille.
Le champagne que j’ai apporté est Champagne Dom Pérignon 1976. La couleur annonce le futur plaisir car elle est extrêmement jeune. Le champagne est séducteur et raffiné. C’est un Dom Pérignon que je situe au dessus de ce que j’attendais. Je me mets à penser qu’il pourrait être le vin gagnant ce soir. Mais ce n’est pas si sûr, car Nikos a apporté un Meursault Charmes Les Tesserons de Lafite négociant à Bruxelles 1969 qui est époustouflant. Je suis sous le choc, car ce meursault est merveilleux de complexité, avec une belle jeunesse, un citronné précis et une longueur extrême. Jamais je n’aurais pensé que ce meursault atteindrait ce niveau.
Nous buvons ensuite le Châteauneuf-du-Pape blanc Rayas vers années 60 ouvert il y a quelques heures dans la cave de Rayas. Il confirme la noblesse perçue en cave. C’est un grand vin.
Le 1969 Auslese Mosel Wein de Nicos est plaisant, mais il joue un peu à contre jeu et je n’en capte pas toutes les vertus.
Le Chambolle Musigny Morgan Fürze à Londres 1969 est une jolie surprise an nez extrêmement bourguignon. Le Corton Louis Jadot 1979 est une petite merveille, d’une précision de senteurs et d’arômes qui correspondent à la noblesse de l’année 79.
C’est alors qu’arrive le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978, dont j’annonce d’emblée devant ce parterre de palais affutés la problématique : est-ce un vrai ou un faux Rayas. Pas l’ombre d’un doute n’est apparu chez aucun convive. Nul n’a dit : "attendez un peu que je me prononce". Il était évident pour ceux qui ont des points de comparaison que ce vin est un Rayas 1978. De plus il est purement magnifique, la quintessence d’un Châteauneuf-du-Pape qui aurait des tendances gustatives bourguignonnes. C’est la pureté de son nez qui m’a convaincu qu’il ne pouvait pas s’agir d’un faux. Et quelqu’un a lancé : "de toute façon, si ça devait être un faux, achetez les tous, car c’est diablement bon".
Nous goûtons un Châteauneuf-du-Pape Clos Mont Olivet magnum 1984 qui est un solide Châteauneuf-du-Pape que j’ai peu mémorisé, car la soirée avance ainsi que la fatigue. Le souvenir que j’en ai est d’un Châteauneuf-du-Pape classique très équilibré. S’il y avait des symboles dans le vin que j’ai fait goûter à Emmanuel Reynaud à Rayas, il y en a aussi dans le choix du vin que j’ai apporté : Châteauneuf-du-Pape Emile Costes "Vins en Gros" à Nanterre 1947. J’adore faire goûter des fantassins. Il s’agit ici d’une mise en bouteille de caviste d’une très grande année. Et la démonstration est convaincante, car ce Châteauneuf-du-Pape dont on ne sait d’où il vient est sublimé par l’année grandiose et respire la joie de vivre. C’est un vin de bonheur.
Et c’est bien qu’il soit suivi du Châteauneuf-du-Pape domaine du Pegau 1981 d’une plus belle origine, car aucun des deux ne nuit à l’autre. J’aime beaucoup ce 1981 assagi, calme et serein. Laurence m’ayant demandé avant le repas quelle année de sa cuvée da Capo créée en 1998 je souhaitais boire, j’avais répondu 1998. Nous buvons donc le Châteauneuf-du-Pape cuvée da Capo domaine du Pégau 1998 et c’est un honneur et un bonheur. Le da Capo est célèbre dans tout le monde, car le 2003 a eu les honneurs d’une note de 100 dans l’échelle de Robert Parker. C’est, je crois sans en être sûr, le premier Châteauneuf-du-Pape qui a obtenu 100. Je suis heureux de constater que le premier millésime de da Capo puisse être aussi sage et élégant, car quand j’avais goûté pour la première fois le da Capo 2003, ça pulsait un max !
Nous finissons notre débauche par un Châteauneuf-du-Pape domaine du Pégau blanc 1989 au nez superbe mais moins glorieux en bouche.
Le repas élaboré par Laurence fut excellent, permettant des accords solides et cohérents. La joie d’être ensemble et de partager des grands vins mais aussi des vins plus ordinaires de qualité ainsi que des conversations enflammées ont permis de passer un dîner mémorable.
Si je devais classer les vins, ce serait : 1 – Meursault Charmes Les Tesserons de Lafite négociant à Bruxelles 1969, 2 – Champagne Dom Pérignon 1976, 3 – Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978, 4 ex aequo le Corton Louis Jadot 1979 et le Châteauneuf-du-Pape blanc Rayas vers années 60.
Merci Laurence d’avoir suscité ce grand moment.