Le quatrième repas de notre week-end de folie est un dîner chez ma fille et mon gendre. Jean-Philippe et mon gendre sont au fourneau depuis 17 heures. L’esprit sera aux tapas.
Le Champagne Bollinger Grande Année 1990 est une très heureuse surprise. Il a une évolution plus marquée que celle qu’il devrait avoir et cela lui va bien. Il a des notes fumées, un peu oxydatives. Le premier message est assez monolithique, unidirectionnel, mais le vin va spectaculairement s’épanouir sur les premières tapas. Nous commençons par des dés de céleri à la citronnelle et au citron vert, qui fouettent le champagne et lui donnent plus de percussion. Une huître rôtie aux herbes du port et au torron Sirvent colle à fond au côté patiné du champagne. C’est probablement le plus bel accord du dîner, car le champagne devient fringant et rajeunit de dix ans. L’huître est délicieuse et le vin en profite.
Le cappuccino de moules est inscrit dans la ligne de mire du Bollinger et crée lui aussi un accord vibrant.
Le Champagne Salon 1996 a un parfum qui est une explosion de fleurs blanches et de complexités. Dès la première gorgée, on sent qu’il y a un monde entre le Salon et le Bollinger. Les fleurs blanches sont brillantes, et c’est surtout la complexité qui fait la différence, car le message change sans cesse. Le vin n’est jamais là où on l’attend, glorieux, vineux mais drapé dans ses fleurs blanches. Un immense champagne, probablement le meilleur des Salon 1996 que j’aie jamais bus.
Le Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 2000 est un choc. Il est immense. On comprend Curnonsky qui l’a classé dans les cinq plus grands vins blancs de France. Car il est une énigme permanente, jouant sur des notes oxydatives mais bien contenues. Il est joyeux, plein, opulent et c’est la première fois que je vois une Coulée de Serrant aussi jeune avec autant de charme et de sérénité. Je suis transporté par ce vin car j’aime ce qui me dérange. La fondue de fenouil est délicieuse ainsi que les encornets à la pêche blanche qui mettent en valeur ce vin de Savennières.
Le Clos Sainte-Hune Riesling Trimbach 2005 montre une fois de plus à quel point le cépage riesling, lorsqu’il est bien vinifié, est d’une précision qui est l’une des plus grandes de tous les blancs secs. Ce vin pourrait être qualifié de parfait. Mais mon cœur penche vers le vin plus canaille de la Loire. Les encornets au curcuma sont délicieux et se dégustent aussi bien avec les deux blancs.
Le tartare de bar penche du côté du Sainte-Hune. Les rougets à la fondue de poireau accueillent avec grâce le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 2007 qui est un bourgogne généreux fruité, joyeux, délicat et équilibré. C’est de la joie pure. Il est assez intéressant de comparer avec le vin servi en même temps, Château Laville Haut-Brion 1982. Ce vin est exceptionnel. Il est profond, droit, un vin de méditation. Car ses complexités sont extrêmement subtiles et il faut se concentrer pour en saisir le plus grand nombre. La joie est bourguignonne, la race et la noblesse sont bordelaises. Les deux vins s’expriment avec bonheur sur des andouilles qui à la cuisson ont explosé leurs peaux comme le font les crooners lorsqu’ils sont tétanisés pas les cris d’amour de leurs groupies et déchirent leurs teeshirts.
A ce stade, nous sommes soûlés de perfection. La succession de tapas est une excellente chose et les vins ont été multipliés par des accords éblouissants. Il faut se rafraîchir et un Champagne Krug 1995 accompagne des pêches blanches en salade ainsi qu’un gâteau conçu et réalisé par mon petit-fils de quatre ans. Jean-Philippe se met alors au piano et nous massacrons par nos voix des chansons qui font partie du patrimoine de la chanson française.
Je classerais volontiers les vins ainsi: 1 – Champagne Salon 1996, 2 – Clos de la Coulée de Serrant 2000, 3 – Château Laville Haut-Brion 1982, 4 – Clos Sainte-Hune 2005.
L’accord le plus vibrant est celui de l’huître avec le Bollinger. Mais le carpaccio avec le même champagne et l’andouille avec le Laville font partie des grands accords de ce repas. Jean-Philippe et mon gendre ont fait des prodiges.
Une journée chargée nous attend. Nous sommes donc rentrés à pied, sous une lune qui argente la mer, romantique comme jamais.
mer argentée sous la lune