Le jour suivant, le soleil est très chaud. Mon fils vient chercher ma femme sur son sidecar Royal Enfield dont le moteur chante une musique élégante et racée. La journée se passe de façon quiète. Le soir mes deux amies américaines, Lilly et Sarah, qui sont les plus fidèles participantes de mes dîners, viennent dîner chez mon fils. L’une vit à Boston et fait le voyage jusqu’à Miami uniquement pour ce dîner. L’autre a vécu à Miami et vit maintenant à Charlotte. Son séjour à Miami est plus long. Elle est accompagnée d’une de ses amies, décoratrice en cette ville. Il y aura donc pour le dîner mon fils, sa femme et ses deux enfants, ma femme et les trois américaines.
Nous commençons avec un Champagne Louis Roederer Brut Nature 2009 élaboré avec Philippe Starck. Le champagne est agréable mais sans grande passion. Lilly me trouve sévère, mais le champagne suivant va confirmer mon jugement.
Le Champagne Dom Pérignon 2008 « legacy edition » dont l’étiquette porte les noms des deux chefs de cave pour affirmer la continuité de l’approche de l’ancien et du nouveau est un champagne brillant, vivant, d’une grande énergie. Sa petite acidité est adoucie par les délicieux amuse-bouches préparés par ma belle-fille, crème de petits pois, crevettes très épicées, gaufrettes au parmesan, céleri branche et crème au céleri, olives vertes et gressins, et d’autres choses sans doute. Ce champagne est promis à un bel avenir, car il va s’élargir et s’anoblir.
Le repas consiste en des poulets cuits à la perfection, accompagnés d’une purée de patates douces et de petits dés de maïs pané. L’Ermitage Le Pavillon de M. Chapoutier 2005 est un vin que j’avais acheté à Miami lors d’un de mes précédents séjours auprès de mon fils. D’emblée on sent que l’on boit grand. Le vin est doté d’un velours extrême. Tout en lui est velours, grâce et charme. Le finale est très riche en fruits noirs, comme du cassis, avec une fraîcheur quasi mentholée qui claque dans la fin du parcours de ce vin.
Hier, parmi d’autres achats, j’avais acquis un Sassicaia Tenuta San Guido Bolgheri Sassicaia 2014. Dès la première gorgée on est frappé par la noblesse de ce vin de Toscane et aussi par sa profondeur. Ce vin est impressionnant. Alors il est tentant de chercher celui que l’on préfère de ces deux vins rouges si dissemblables. Sarah est une des convives de mes dîners qui a le plus souvent des votes très comparables aux miens. Au château d’Yquem elle était la seule des convives qui avait les trois premiers de son vote identiques aux miens. Or ici, nous divergeons car je préfère l’Ermitage plus romantique à l’italien plus guerrier. Mais je vais changer d’avis deux fois lors de l’épanouissement des vins dans les verres. Ils sont fascinants tous les deux, le vin du Rhône étant velours et charme, et l’italien noblesse et profondeur.
J’avais imaginé que nous boirions trois vins rouges aussi mon fils avait ouvert un Clos-Fourtet Saint-Emilion 2000. Or ma belle-fille a servi des fondants au chocolat sur lequel est prévu un Banyuls Vial-Magnères Olivier et Chrystel Sapéras 4 ans d’âge. Je goûte rapidement un soupçon du vin de Bordeaux qui me paraît d’un niveau très élevé comme les deux vins précédents.
Le Banyuls est naturellement plus adapté que le bordelais au fondant. Mais c’est un Banyuls assez ordinaire, et, je ne sais pas pourquoi, l’image qui me vient est que la qualité des tonneaux dans lesquels ce Banyuls a vieilli n’est pas parfaite. Malgré tout, l’accord se fait et c’est ce qui compte.
Les discussions sur mille et un sujets ont été passionnantes. Nous avons même bâti des projets de futurs dîners. Mes amies américaines sont insatiables, et tant mieux. Ma belle-fille a réussi un repas de haute qualité. Il ne reste plus qu’un jour en 2018, mais ce 30 décembre fut un sommet.
Le lendemain pour le déjeuner, il faut que l’on goûte dans de meilleures conditions le Clos Fourtet 2000. Le Sassicaia 2014 dont il restait un peu va servir de témoin. Sur ce qui reste des poulets, le Clos Fourtet se présente comme un vin glorieux, impressionnant. Son nez est conquérant, sa bouche est précise, riche, altière d’un saint-émilion parfait. C’est la forme la plus aboutie de ce que peut être un saint-émilion riche en pleine possession de ses moyens. Il respire la truffe. Il est beau, équilibré, une réussite absolue. Alors, le classement des trois rouges sera : 1 – Clos Fourtet 2000, 2 – Ermitage Le Pavillon Chapoutier 2005, 3 – Sassicaia 2014.