Dîner chez Patrick Pignol ce bouillonnant chef si talentueux. Il n’y a que lui pour se casser un bras aux sports d’hiver. C’est dans la ligne de son tempérament espiègle et enjoué. Le bras sous sa blouse comme s’il préparait une farce, il a tout de Napoléon au soir d’une bataille. Mais sa cuisine n’est pas celle d’un bras cassé, loin s’en faut. Les asperges ont une cuisson divine qui les rend croquantes à souhait. Parsemées de morilles elles sont délicieuses. Le cannelloni de homard est brillant. On s’amuse à passer du séduisant Condrieu "les Chaillets" Yves Cuilleron 2000 étonnamment flatteur, rond, beurré, parfois presque vendanges tardives, qui avait bien vibré sur la sauce aux morilles et barbote de bonheur avec le homard, au vin que j’adore, Côte Rôtie la Mouline Guigal 1992. La texture de la pâte, la vibration du crustacé font émerger la Mouline de sa discrétion première, car même carafé, ce vin a besoin de s’étirer, de faire son stretching. Puis arrive le magistral pigeon. Comme son créateur il n’a qu’un bras mais c’est suffisamment copieux. Une chair d’une immense personnalité. Et là, la Mouline sort ses plus beaux atours, se fait belle pour délivrer un message de pur plaisir. Ce n’est pas sa plus puissante année, mais 1992 me plait bien, quand ce n’est pas la force qui prime mais l’expression. Diabolique vin de charme. Patrick Pignol a ce ton enjoué du collégien en cours de récréation prêt à tous les chahuts. Mais il cache son jeu. Sa cuisine est d’une extrême précision. Il devrait donner une petite notice, car quand on s’amuse à ramasser les traces latérales comme le fait un chasse neige dans l’assiette, on prend dans les narines un cocktail d’épices redoutable. De quoi réveiller un hibernatus. Ses madeleines sont un péché insoutenable. On se sent vraiment très bien et ce Condrieu m’a ravi, volant presque la vedette à l’un des mes chouchous de Guigual.