Après une bonne sieste et des activités ludiques, nous nous rendons au domicile d’Yvan Roux. Le soleil est rasant et colore de rose Giens, Porquerolles et les marais salants. Quand il se cache derrière un bouquet de pins méditerranéens, il semble l’embraser. Sur la terrasse qui surplombe la mer, le Champagne Salon magnum 1997 met un sourire sur nos lèvres. Ce champagne est romantique, floral, et c’est sans doute l’un des moins vineux et des plus féminins de tous les Salon. Mais surtout il est lisible. Il n’est nul besoin de chercher à comprendre son charme. La seule chose à faire est d’y succomber.
De fines tranches de chorizo fait au Pata Negra apportent un gras qui titille aimablement le beau champagne. Mais l’accord divin se fait sur une crème aux poivrons et piment d’Espelette où l’on trempe des beignets de lotte. La chair de la lotte est un régal.
La lune apparaît, merveilleusement ronde, et teinte d’un argent légèrement blond l’onde calme du début de nuit.
Nous passons à table derrière la piscine qui ne gêne en rien la vue sur la mer. C’est cette piscine où un autrichien fou de vin était tombé par mégarde en voulant aller chercher un de ses vins. Nous le reverrons dans quinze jours.
Sur une friture de petits rougets, nous avons deux vins blancs. Le reste du Condrieu Les Chaillées de l’Enfer Domaine Georges Vernay magnum 2000 et un Meursault Charmes Domaine des Comtes Lafon 2002. Je suis très favorablement surpris par la qualité du Condrieu, qui montre son adaptabilité gastronomique au-delà de toute attente. Je ne me souviens pas avoir bu un Condrieu de ce niveau. Il est charmant, puissant, riche de fruit brun, avec une complexité qui me surprend et une longueur plaisante. C’est un grand vin. Le Meursault Charmes est plus élégant, plus raffiné et subtil, mais je dois dire que ce soir, c’est le rhodanien que je préfère.
Sur un carpaccio d’un poisson dont la chair ressemble à celle d’un thon rose, servi avec des copeaux de pamplemousse, l’accord avec le Condrieu est tout simplement diabolique. Le Condrieu est fait pour le pamplemousse, judicieux pour le carpaccio.
Ayant récemment fait des statistiques sur ce que j’ai bu, j’ai constaté que contre toute attente (enfin la mienne), j’ai bu autant de chacune des trois grandes Côtes Rôties de Guigal, la Landonne, la Mouline et la Turque. Spontanément, j’aurais répondu que la Mouline est de loin la plus bue et la Turque beaucoup moins, mais en fait les trois sont numériquement égales dans mes dégustations. Jamais n’avais-je ouvert les trois ensemble aussi suis-je excité à l’idée de le faire avec des amis qui apprécient le vin.
Dans trois verres devant nous se présentent les trois, pour le millésime 2000. Il faut savoir qu’Yvan Roux a fait son menu sans connaître les vins. A peine sommes-nous servis des vins qu’arrivent des assiettes submergées par des énormes moitiés de langoustes. Nous allons comparer nos trois vins sur des chairs absolument succulentes dans leur pureté.
Le nez de la Côte Rôtie La Turque Guigal 2000 est de loin le plus imposant. Le nez le plus subtil et délicat est celui de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 2000. Sur la langouste, ma fille comme moi, nous trouvons que c’est la Landonne qui est la plus pertinente. C’est le vin le plus bourguignon des trois, car il joue plus sur la subtilité que sur la force. C’est d’ailleurs celui qui fait le plus évolué.
La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est la plus séduisante des trois, avec un final mentholé de fraîcheur absolument unique. La Turque est la plus puissante, riche, mais plus brutale.
Jean-Philippe nous fait remarquer que sur le homard, c’est le Meursault Charmes qui est le plus pertinent, et c’est vrai que le meursault crée une vibration beaucoup plus intense que les vins rouges sur le crustacé.
Yvan nous sert ensuite du denti, ce poisson des eaux profondes à la chair très typée, avec des aulx et du pesto, sur une aubergine. Les vins de Guigal s’animent mieux sur le poisson et sur l’ail, et nous sommes bien embarrassés de décider nos préférences entre les trois vins. Ils sont tous les trois attachants, avec des personnalités très différentes. Ma fille continuera de préférer la Landonne, ce que je comprends, mais ce soir, je préférerai la fraîcheur mentholée de la Mouline, avec un fruité rare de fruits noirs.
Je rêvais de faire cette confrontation et je suis heureux de l’avoir faite. Et savoir qu’il n’y a pas de réel gagnant, chaque Côte Rôtie ayant une expression qui se justifie me remplit d’aise.
Le repas s’est terminé sur un fondant au chocolat que j’ai esquivé. Ayant prévu un champagne rosé, je ne l’ai pas ouvert, car la résonance sur le chocolat n’aurait jamais été trouvée.
La nuit illuminée par une lune parfaitement ronde nous donnait envie de jouir de la douceur de la nuit, avec le beau souvenir d’une confrontation réussie des trois belles Côtes Rôties de Guigal, sur la cuisine généreuse et toujours juste d’un Yvan Roux fier que son fils devienne comme lui naguère un rugbyman qui monte.