Un dîner organisé par Jean Luc Barré est toujours un événement. Nous n’ordonnançons pas les choses de la même façon, et cette diversité est un bien. Jean Luc a des thèmes, fruits de longues recherches, alors que je pense plus à faire un dîner sans thème, parcours de saveurs patiemment agencées. Là, il nous proposait un voyage dans la Bourgogne, dans toute sa diversité. Jean Luc fait goûter à l’aveugle, ce qui est un autre type de découverte des vins.
A l’apéritif, Château de Loyse 1959 Thorin Beaujolais blanc (sur l’étiquette il y a seulement « Bourgogne », et pas de mention de Beaujolais ). Comme on sait qu’on doit être en Bourgogne, toutes les pistes sont explorées avant que Jean Luc ne nous mette sur la voie de ce vin bien rond, « nature », au message direct et monolithique. Très agréable début sur les gougères de David van Laer.
Sur une délicieuse barbue à la sauce au thé : Chablis Grand Cru Valmur 1978 Lamblin. Un nez très brut, presque métallique, et en bouche le plaisir du Chablis, bien rond et intense. Je dis cela, mais comme je n’ai découvert aucun vin à l’aveugle, j’aurais mauvaise grâce à dire : « très caractéristique de », puisque je ne retrouvais pas les caractéristiques qui ne m’apparaissaient que quand je savais. Le Meursault Genévrières 1961 Nicolas avait exactement l’odeur du thé de la sauce. Accord magique avec le plat. La sophistication de ce vin suggérait toutes les nuits chaudes d’Arabie quand c’est la nature et non pas la poudre qui tient éveillé (j’ai écrit ce commentaire peu après le repas, tenu en pleine guerre). Le Corton Charlemagne 1943 Charles Viénot est un vin étonnant. Une race extrême, une concentration unique. La noblesse de ce vin le plaçait au dessus des deux autres blancs, mais c’est le Meursault qui caressait le mieux le plat pour un bel accord.
Un homard aux pieds de porc s’harmonisait on ne peut mieux avec un Santenay 1959 Louis Max. J’ai eu plus de plaisir avec ce joli Santenay qu’avec le Volnay 1955 Tollot-Voarick, très grand, mais trop animal pour moi. Des convives le trouvaient plutôt végétal : diversité des goûts. Mais de toutes façons, trop marqué pour moi. Le Beaune 1934 Duvergey Taboureau avait une couleur de sang mêlé de rubis. Grand vin bien vivant. Mais sur le homard, c’est le Santenay qui se montrait le plus agréable. Sur du veau, un Nuits Saint Georges 1937 Jaboulet Vercherre (en fait, le nom Vercherre est celui qui est écrit en gras sur l’étiquette). C’est un grand vin, mais je dois bien l’avouer, plus le temps passait, et plus ces découvertes à l’aveugle m’égaraient. Ce grand vin eut mérité plus d’écoute de ma part. Il cohabitait avec un Chambolle Musigny 1955 Mony qui causa un sursaut de mon attention tant il était merveilleux. Apparemment, 1955 est grand, et pas seulement en Bordelais. Le Fixin « Les Hervelest » 1959 Poulet fut découvert à l’aveugle par un des convives. Vin très agréable mis en valeur par une année exceptionnelle. Sur un « Epoisses » je retrouvais un vin plus connu : Gevrey Chambertin 1947 Bouchard Père & Fils. Un de mes chouchous. Jean Luc met toujours un pirate, ici un Madiran 1961 Auguste Vigneau Pouquet. C’est judicieux, car il trouve sa place au sein de cette prestigieuse brochette de Bourgognes sans souffrir. Une délicieuse « Poire Williams » Lejay Lagoute # 1950 avait pour mission essentielle d’éliminer toute trace de sang dans ma tuyauterie interne vouée à la Bourgogne. Je plaisante un peu, mais Jean Luc Barré avait ouvert beaucoup de flacons, ce qui n’enlève rien à la qualité de ce voyage intéressant en Bourgogne, éclairé par la cuisine très exacte de David van Laer.