Au Casual, à l’agréable décoration et au service parfait, Jean-Luc Barré réunit quelques fidèles autour d’un de ses dîners fous. L’ambiance est bruyante, chahuteuse, mais le silence se fait lorsqu’un vin le justifie. Surabondance de raretés extrêmes, de curiosités que Jean Luc rassemble en un travail de bénédictin.
Le menu : gougères, langoustines rôties et salade d’herbes, gâteau de foie gras, caramel de Porto, poitrine de veau confite aux trompettes de la mort, pomme purée, fromages mesclun et cake aux noix, crème brûlée à la vanille, mousse aux pommes caramélisées, glace caramel.
Champagne Blin sans année vers 1980 en magnum. Je le trouve particulièrement bon. Il a un final fumé et dense de belle délicatesse. Deux bouteilles de champagne Pol Roger 1964 sont de présentations différentes. L’une a plus de bulles que l’autre qui n’en a plus. L’autre a plus de sucre. Il y a là deux expressions de champagnes qui n’en sont plus totalement mais offrent une version nouvelle et plus vineuse d’un bel agrément. Le Chablis Grand Cru « les Clos » Nicolas 1947 est un pur chef d’oeuvre. Comme nous découvrons tous les vins à l’aveugle, c’est quasi impossible de retrouver Chablis, mais c’est une grande expression historique de ce vin. La Coulée de Serrant 1948 de Cothereau me plait tantôt plus, tantôt moins que la Coulée de Serrant 1949 de Cothereau. Ces Savennières sont tellement hors des goûts traditionnels. Une querelle naît car sur la bouteille de 1949 l’année est rayée et quelqu’un a écrit il y a bien longtemps 1948. Alors, quelle année ? Jean-Luc s’en tient à 1949. Je n’en suis pas si sûr. Qui sait ?
Nous avons ensuite trois vins rouges clairets qui à l’aveugle donnent lieu à des réponses dans toutes les régions. Introuvables énigmes que j’ai ressenties comme fatiguées. Peut-être ai-je tort. Un Coteaux Champenois Mareuil rouge 1961 Philipponat, et deux bouteilles de Bouzy rouge 1961 Pommery. Etranges saveurs peu à mon goût. Introuvable encore, mais trouvé, ce Hautes Corbières « cave pilote » de Villeneuve lès Corbières 1959. Voilà du vin, et fort bon. Si la trame est légère, car c’est (ce fut) un vin ordinaire, le plaisir est grand. Jean Luc se lamentait de ce que son vin phare soit bouchonné. Le Royal Khébir 1945 de Frédéric Lung, vin d’Algérie fascinant que j’ai plusieurs fois apprécié sur plusieurs années était ici plus gênant au nez qu’en bouche. On avait quand même une évocation suffisante de ce que pouvait être sa fascinante beauté.
Arrive un vin très énigmatique de saveur que j’ai reconnue : c’est un Premières Cotes de Bordeaux, Château Malagar 1956, ancienne propriété de François Mauriac. Le vin est devenu assez sec, et comme pour le Filhot 1858 récent, j’aime ces goûts qui dérangent par leurs saveurs insaisissables. Puis, le Domaine Raymond Louis 1934 crème de tête Sauternes s’affirme en force : il est grandiose comme le sont les Sauternes de ces âges là. Il est indiqué sur l’étiquette que la propriété est entre Yquem et Suduiraut. Elle a produit un vin élégant de grande profondeur. Le grand Marsala hors d’âge de Nicolas vient sans doute du début du 20ème siècle ou de la fin du précédent. Il titre 18° et a de ces opulences orientales qui contrastent avec l’aridité sicilienne. Une vieille Myrtille Peuchet probablement des années 50 annonce 48° mais donne l’impression d’en porter 80° tant elle emporte le palais. Encore une fois Jean-Luc a rassemblé de très intéressants témoignages d’histoire. La fine cuisine du Casual préfigure-t-elle un retour de David van Laer ? J’attends de ces deux amis de pouvoir conter leurs prochaines aventures.