Une fois de plus Jean-Luc Barré, associé de cœur de wine-dinners, a pris l’initiative d’un de ces grands dîners d’amis où les vins les plus fous ravissent nos palais. David van Laer – eh oui, encore lui – a été d’une inventivité rare, et d’un grand talent : toast au foie gras et truffe italienne, morilles rôties, huile d’olive et parmesan, « minute » de Saint Pierre à la vanille, poivre de Penja, volaille poire et truffes, Parmentier de queue de boeuf, fromages, feuillantine de gariguette, réduction de balsamique. Un festival.
Un Champagne Crémant blanc de blanc de Bichat non millésimé vers 1959 avait ce délicieux madérisé qui prolonge la longueur. Mais un Champagne Eugène Cliquot 1945 avait une telle distinction et une telle subtilité qu’il confirmait combien 1945 est grand en champagne. Ces champagnes gagnent en longueur et se démarquent des jeunes champagnes, même les plus nobles.
Beaune du Château blanc Bouchard Père & Fils non millésimé estimé à 1947. C’est un de mes blancs préférés, à cause de ce coté délicatement fumé. Un Meursault Louis Latour 1959 avait ce nez si caractéristique de Meursault. Odeur que j’avais trouvée dans des Coche-Dury plus jeunes, et donc plus attaquants au nez. Goût fort agréable, mais largement distancé par un fabuleux Corton Charlemagne Louis Latour 1959. Une précision dans la perfection. A comparer avec les grands Montrachet, même s’il y a un peu moins de puissance. Quelle belle expression du Bourgogne blanc le plus pur ! Là aussi un exemple d’équilibre comme a pu l’être le Lafite 86 récent, à faire goûter dans les écoles d’oenologie !!
L’année 1943 produit des vins variables, car il y a d’immenses réussites et aussi de belles fatigues ! Le Canon Saint-Emilion 1943 et le Calon-Ségur 1943 servis ensemble étaient de vraies leçons de jeunesse. Couleur, odeur, saveur : tout était jeune, fringant. Difficile de choisir entre les deux. Mais pourquoi choisir, car arrivaient deux merveilles de 47. Un Clos des Jacobins 1947 a été jugé trop flatteur par certains. Trop clin d’œil. Je l’ai personnellement bien aimé pour ce coté chaleureux très « algérien », si vous voyez ce que je veux dire. Puis, recueillement total : Clos Fourtet 1947, un vin de perfection. Nous l’avions déjà bu avec Jean-Luc lors d’une dégustation des 1947. Ce fut la surprise la plus mémorable. J’avais le souvenir que Cheval Blanc était la vedette incontestée, Clos Fourtet étant sa dauphine. Jean-Luc avait le souvenir qu’ils étaient à égalité. Qu’importe car ce nouveau Clos Fourtet 1947 fut une pure merveille. A ce stade d’évolution, et à ce niveau, toutes les composantes du vin se rejoignent pour délivrer un plaisir total. On cherche un défaut et on ne peut en trouver. C’est de la perfection, avec ce coté intellectualisé que seul Bordeaux peut donner. Une bouteille de légende.
Il est évident qu’après ce vin de génie, le Beaune du Château rouge vers 1947 (je pense plus récent) Bouchard Père & Fils avait du mal à se placer : on revenait sur des expressions chaleureuses et terriennes, là où l’on quittait l’éther. C’était lire du Gérard de Nerval, fermer le livre et ouvrir du Frédéric Dard. Oui mais …. Oui mais Frédéric Dard, ça se déguste aussi, et assez rapidement on entrait avec plaisir dans le monde du Bourgogne, le Beaune du Château étant si agréable avec cette gentille puissance rassurante. Un vin que j’aime, à la limite du parti pris, tant j’ai un coup de cœur pour Bouchard. Un Beaune du Château 1929 a sans doute été l’un de mes plus grands Bourgognes rouges. Un Fixin Clos du Chapitre 1934 de Morin et Fils (belle maison) aussi très jeune et bien attachant nous a confirmé s’il en est besoin que les Bourgognes vieillissent bien, même dans ces appellations inhabituelles car peu bues de cet âge.
A ce stade de la dégustation l’apparition d’un Guiraud 1947 qui devrait être une merveille a touché une population dont certains (moi inclus) sentaient une certaine fatigue. Or Guiraud 1947 est grand. Grand comme tous les Sauternes des années anciennes qui sont de tels plaisirs gustatifs de miel de fruits bruns, d’agrumes et de saveurs dorées et pénétrantes. Guiraud méritera qu’on le goûte à nouveau, mais plus tôt dans le repas, ou après un nombre limité de merveilles.
Un Cordial Médoc conclut ce repas. Cette liqueur de vin de Médoc est si énigmatique, rare. Sur l’étiquette on indiquait que cette bouteille est la propriété de la Wehrmacht et qu’il est interdit de la vendre dans le commerce. Il est plutôt réconfortant que ce breuvage ait fini dans nos gosiers, en allusion à la phrase d’il y a 60 ans : « encore une que les allemands n’auront pas ! ».
Jean-Luc nous a une fois de plus ébloui par son érudition. Ces dîners prouvent encore, s’il en était besoin, que le monde des vins anciens est le plus merveilleux qui soit. Il ne dispense pas des vins jeunes. Mais quel paradis !