C’est l’anniversaire de mon ami Tomo. Ma femme et moi sommes invités chez Akiko et Tomo à dîner. Lorsque nous arrivons Tomo m’offre un verre de Champagne Krug magnum 1979 qu’il a ouvert il y a une demi-heure. Le champagne est noble mais souffre d’une amertume un peu prononcée. Mais elle disparaît extrêmement rapidement, comme par miracle. Et ce Krug nous offre sa richesse, ses complexités et une longueur quasi infinie. C’est un très grand champagne racé.
J’avais apporté pour partager avec Tomo un Château Chalon Jean Bourdy 1911. Je l’ouvre et le parfum de noix est très fort. La couleur dans les verres est ambrée et sombre. Le vin est énergique, puissant, riche de noix et pour 109 ans, il offre un dynamisme rare. Je fais faire à Tomo et aux deux autres convives l’expérience de boire le champagne, puis le vin jaune et de revenir ensuite au champagne. Le vin jaune élargit le champagne et c’est un vrai bonheur. Frédéric est un commerçant de vins anciens que j’ai connu il y a plus de vingt ans et qui a participé à mes tout premiers dîners au restaurant Maxence de David van Laer.
En cuisine Lumi et Ken s’affairent pour préparer les mets du repas. Le jambon Pata Negra Bellota 36 mois dont Lumi a patiemment enlevé le gras est superbe pour le champagne. Nous commençons à table par un bouillon de poularde façon Païtan, chou rave et zestes de yuzu vert. Ce plat délicat accueille Un Meursault Pré de Manche Domaine d’Auvenay Lalou Bize-Leroy 2000. Ce vin combine puissance et légèreté. Il est intense et imprégnant, complexe et aussi charmeur. C’est un blanc magnifique qui n’a pas la puissance des vins de la région de Puligny-Montrachet mais a la persuasion des meursaults.
Le plat suivant est un carpaccio de Saint-Jacques, coques d’Utah Beach, caviar Daurenki, Citron Caviar. On peut essayer sur ce plat les vins déjà servis et à mon sens le plus bel accord se trouve avec le Château-Chalon puis le champagne. Les coques n’étaient pas forcément utiles pour ce plat alors que les tranches de radis apportent du croquant qui renforce l’accord coquille crue et caviar. C’est délicieux.
Nous avons ensuite des tempuras de homard au Shiso rouge, sauce bisque de homard coraillé, sur lequel apparaît un Château Lafleur Pomerol 1975. Le vin est superbe, d’une folle énergie, au goût de truffe noire et de mine de crayon. Ce vin est un seigneur. A mon sens, les queues de homard sont un peu trop grosses pour être présentées en tempura et il est sans doute préférable de les servir sans le tempura. La chair du homard est divinement cuite et se suffirait à elle-même. Elle résonne avec le pomerol de bien belle façon.
Ken a cuit deux poulardes Culoiseau en croûte de sel et d’algue Kombu, girolles poêlées, riz gluant aux marrons. Il vient les découper à notre table. Leur chair est divine de tendreté sous cette cuisson. Tomo nous montre une énorme et belle truffe blanche d’Alba qui embaume d’un parfum envoûtant et qu’il disperse en fines tranches sur nos assiettes avec une extrême générosité. Il sert alors un vin de légende, le rare et fameux Château Trotanoy Pomerol 1945. L’année 1945 est celle de la plus grande réussite de Trotanoy, comme 1947 l’est pour Cheval Blanc. Le vin est grand, mais je ne trouve pas qu’il offre la légende attendue. C’est un grand vin mais j’aurais tendance à préférer Lafleur 1975 plus vif et plus expressif. Il est évident que les deux pomerols sont très grands.
Yuki Hayato, la talentueuse pâtissière du restaurant Pages, n’est pas présente mais elle a créé un dessert Opéra au chocolat d’une qualité exceptionnelle. Tomo ouvre un Champagne Salon 1999. Il est agréable mais après les autres vins beaucoup plus anciens, il a du mal à faire sa place, comme le Champagne Roederer Cuvée Cristal Roederer 2002 qu’il ouvre ensuite, même s’il offre une largeur joyeuse.
Il est assez difficile de classer des vins aussi différents mais je vais m’y risquer : 1 – Château Chalon 1911, 2 – Château Lafleur 1975, 3 – Meursault d’Auvenay 2000, 4 – Krug magnum 1979, 5 – Trotanoy 1945. Comme toujours Tomo et Akiko ont été d’une extrême générosité.