Un ami journaliste et passionné de vins me propose de me joindre à un groupe de sommeliers de restaurants prestigieux pour visiter un domaine de Jasnières avec l’éventualité de goûter des vins très anciens, peut-être au-delà de deux siècles. Je n’ai pas la moindre hésitation, je ne demande rien, je dis oui. Le rendez-vous étant dans la matinée à environ 250 kilomètres de chez moi, il me semble opportun de passer la nuit au Mans. J’appelle un des fidèles participants de mes dîners et je l’invite avec son épouse à dîner en lui demandant de choisir l’hôtel où je coucherai et le restaurant où nous dînerons. Après avoir pris possession de ma chambre, je me dirige à pied vers le restaurant Le Grenier à Sel.
Le restaurant est dans une large maison très ancienne et la décoration est réussie, les couleurs et les éclairages étant de bon goût. Mon ami a prévenu que je viendrais avec des bouteilles. Etant en avance, j’ouvre un Château Rayne-Vigneau 1938 à la belle couleur d’un ambre clair. Au nez le vin est riche et solide, plus ample que ce que j’imaginais de ce millésime. Il y a aussi un vin rouge jeune pour lequel il me semble qu’il faudra l’ouvrir au dernier moment.
Les amis arrivent et la carte des vins m’est présentée. La carte est assez riche en vins de la région et pour les autres elle offre des vins de second plan. Le sommelier me dit qu’il y a des grands vins mais qui ne figurent pas sur la carte. Je choisis sur cette carte un Dom Pérignon 2009 et le sommelier me dit qu’il a en cave le 2010 non inscrit. C’est celui que nous prendrons.
Nous commandons des plats qui devraient convenir aux vins et la cuisine est simple et de bonne qualité. Le Champagne Dom Pérignon 2010 est aérien et j’aime son approche gracieuse. Il y a des fleurs blanches dans ses suggestions. Mais il sera beaucoup plus brillant dans une dizaine d’années.
Le Vega Sicilia Unico 2000 ouvert au moment où le plat est servi est absolument idéal avec la pièce de bœuf. Mais pourquoi avoir mis des huîtres dans la purée ? Elles créent une rupture de goût et une forte dose de salinité. Le vin est magique car il est puissant mais aussi aérien et marqué de petits fruits noirs délicats. Sa fraîcheur est idéale. Nous prenons du fromage pour continuer à profiter de ce vin velouté qui m’enchante au plus haut point.
Le Château Rayne-Vigneau 1938 à la couleur assez claire est d’une puissance que je n’attendais pas pour ce millésime. Il est plein et riche au beau fruit orangé. La tarte au citron lui convient.
A une table voisine il y a six hommes qui discutent de vins et semblent s’y connaître. Je leur fais porter un verre du sauternes. En contrepartie le sommelier me tend un verre et dit qu’il s’agit d’Yquem 1998. Je félicite la table tout en disant que je trouve cet Yquem plutôt court. Le sommelier me montre la demi-bouteille : il s’agit d’un Coteaux du Layon 2013 ou quelque chose comme ça. Etant en train de discuter avec mes amis, je n’avais pas la moindre envie de douter de ce qui m’avait été dit. J’ai fait porter aussi des verres du Dom Pérignon à cette table joyeuse.
Le point culminant de ce repas est la sublime prestation du beau vin espagnol, si frais et si sensible.