C’est une coquetterie, je tiens à être présent dans mon sud pour le jour le plus long de l’année. C’est le jour où le soleil se lève et se couche le plus au nord à l’horizon. C’est le début d’une longue pause bien nécessaire, car en ce premier semestre j’ai bu plus de six cents vins. L’ordre du jour est au sport. Mais quand des amis nous invitent, il est difficile de refuser. Par un beau soir d’été, sur une terrasse surplombant la baie de Hyères et les îles, notre hôtesse a interprété de belles recettes de grands chefs. La salade de homard aux fraises et caviar d’aubergine est d’une recette créée par le chef Patrick Raingeard du Cap d’Estel, et le tagine est revisité selon une recette de Nicolas Isnard et David Le Comte de l’Auberge de la Charme à Prenois. L’exécution est parfaite et montre les talents culinaires de notre amie qui surmonte les difficultés de ces préparations avec grâce.
Le Champagne Louis Roederer magnum sans année est nettement meilleur que de précédentes versions. On sent que l’âge fait son œuvre ajoutant des complexités qu’il n’a pas quand il est au berceau. Il se boit donc vite, car il fait soif à bavarder et le Champagne Bollinger Grande Année 1999 lui succède. Et c’est une bonne chose car cela met en valeur le caractère raffiné et délicatement floral de ce champagne. Il a beaucoup de talent combinant les vertus pâtissières à ce floral insistant. Un vrai plaisir.
Nous commençons les rouges par un Richebourg Grand Cru 1992 mis en bouteille par un certain monsieur Bidouilh au château de Verneuil dont on imagine volontiers que des amis mal intentionnés l’ont accusé d’avoir un peu coupé ses vins. Du poids à porter des patronymes ! Le vin est fort sympathique car l’année 1992 a donné des vins subtils et délicats, peut-être en sourdine quand ils étaient jeunes, mais bien expressifs maintenant. J’ai apporté, pour voir, un Côtes du Rhône Rochegude Cuvée du Président 1976, provenant de la coopérative de vinification de Rochegude. Ça peut faire sourire et le début en bouche est assez simplifié, mais tous les convives seront étonnés de voir à quel point ce vin assemble ses composantes pour offrir presque une heure plus tard un vin du Rhône solidement charpenté et très expressif, jugé par eux presque le meilleur de ce soir.
Le Rimauresq Côtes de Provence 2004 nous fait revenir sur des bases solides, car nous sommes dans sa région. Il chante comme les vins du sud, et les citrons confits et l’orange amère qui accompagnent le suprême de volaille mettent en valeur le vin.
Le Rimauresq Côtes de Provence magnum 2008 est meilleur que le 2004. Il est plus précis, plus expressif, plus souriant. J’ai un grand faible pour ce vin que l’on goûte si bien dans sa région.
Vient maintenant mon autre apport dont j’espère qu’il fera un tabac. A l’ouverture son parfum explosif anisé m’avait conquis. Le Penfolds Grange BIN 95 2005 est un vin que j’adore. Résolument moderne, puissant, envahissant, il me conquiert par sa fraîcheur anisée. Alors que mon cœur bat pour les vins anciens, on est ici dans le contraire. Le vin est conquérant, propulsant un fruit noir et lourd qui envahit et possède le palais. Mais la fraîcheur de menthol et d’aneth est une telle merveille que je succombe. Une convive présente ne cessera d’éreinter ce vin, disant qu’il est trop travaillé, trop boisé, trop tout. J’aurais peut-être eu la même analyse il y a plus de dix ans, quand je refusais les tendances modernes. De l’eau a coulé sous les ponts et mon palais s’est ouvert à d’autres horizons. Le lendemain matin ma bascule et mon professeur de tennis semblaient ligués contre moi. Mais comment regretter une si belle soirée d’été.