Des amis arrivent par avion vers 16 heures. Il est une tradition immuable de leur offrir un champagne de bienvenue. J’ouvre un Champagne Salon 2004. Un des amis aime cuisiner et nous a apporté la 35ème édition de son cake aux fruits. Nous buvons donc le champagne sur ce délicieux cake aux fruits dont certains ont été trempés dans une chartreuse. Le cake est parfait. Le champagne est équilibré et doux. Il a l’élégance et la complexité des grands Salon mais dans ce contexte, sa douceur équilibrée est un atout majeur. Tant de douceur dans tant de puissance, c’est du bonheur.
L’apéritif est prévu à 19h30. Il y aura de délicieuses tranches d’un pâté en croûte préparé par notre boucher traiteur fétiche. J’ai choisi un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 60 pour faire contraste avec le jeune Grand Siècle que j’avais ouvert pour ma fille. Comme pour les deux champagnes de 1964 dont les bouchons n’étaient pas sortis entiers, la lunule du bas de bouchon restant dans le goulot, le bouchon du Grand Siècle sort en deux fois, la lunule inférieure ne tournant pas quand on tourne le bouchon. Cela corrobore l’estimation de la période de naissance de ce champagne. L’étiquette du champagne porte l’inscription UTA de la compagnie aérienne qui offrait ce vin à ses passagers.
Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 60 a une belle couleur ambrée. Ce qui frappe c’est la complexité de ce champagne. Le jeune bu récemment avait une belle énergie ; celui-ci est plus calme mais plus complexe et plus inspirant. Sur le pâté en croûte, l’accord est parfait. Nous essayons ensuite un saucisson à la truffe qui est bon mais ne fait pas parler le champagne.
Le plat de ce repas qui se voulait léger avant le réveillon de demain, est de filets de maquereau fumés au poivre, et de demi-pommes de terre beurrées au beurre Bordier et passées au four. Connaissant ce plat, j’avais pris en cave, à l’instinct, un Puligny-Montrachet F. Ponsot négociant à Beaune dont l’étiquette d’année avait disparu. C’est la couleur du vin, pour un niveau parfait, qui m’avait séduit. Je le situais vers la fin des années 70, mais en ouvrant la bouteille, l’état du bouchon m’indique plutôt le début des années 60. Si c’était l’année 1961, je ne serais pas étonné tant la qualité de ce vin est extrême. Le nez est très franc, direct, de belle attaque. En bouche ce vin est d’une sérénité parfaite. Il a un fruit calme mais précis et une belle longueur. C’est un vin à la Jean Gabin, c’est-à-dire un taiseux qu’on écoute quand il s’exprime. L’accord avec le poisson est d’une rare précision au point qu’un des amis se demande comment j’ai pu penser à ce vin. L’accord se trouve aussi avec les pommes de terre.
Au moment où nous avons fini le poisson, une idée me vient. Je suis sûr que l’accord avec le camembert mangé hier serait parfait avec le Puligny. Ma femme me tance, car demain il y a réveillon, mais j’insiste. Et la symbiose entre le Puligny et le camembert est une merveille esthétique.
Nous allons goûter un moelleux au chocolat préparé par ma femme et il serait raisonnable de boire de l’eau. Ma fille qui avait jusqu’ici été extrêmement raisonnable, pensant au nombre de calories qu’il faudrait brûler pour effacer ces agapes, me réclame un Maury. Son ton m’indique qu’il est impossible que je me dérobe.
Je cherche en cave un Maury Mas Amiel Prestige 15 ans d’âge que j’ai dû acheter il y a trente ans. L’accord avec le moelleux au chocolat est sublime et tellement naturel car il y a tout dans ce vin, la cerise confite, la prune, le pruneau confit, et tant d’autres fruits. Et ce qui est précieux c’est que ce vin est totalement intégré. C’est un accord de jouissance.
J’ai servi un Vieux Marc des Lambrays d’une bouteille déjà entamée mais éventée. Le marc a totalement perdu de sa vigueur. Eventé, il n’est pas porteur de plaisir.
J’adore ce type de repas fait d’impromptus successifs. Pourquoi ce Puligny, pourquoi ce Maury, pourquoi ce camembert qui apparaît sans qu’il ait été prévu. Je trouve un grand plaisir à ce hasard, car c’est une manifestation de totale liberté.
Demain, ce sera réveillon et tout est déjà prévu à l’avance. Ce sera je l’espère très bien, mais des repas comme celui-ci où l’improvisation domine, c’est ce que je préfère, et de loin. A demain un nouveau style.
la préparation des verres pour le réveillon