Un ami vigneron en Champagne, Jérôme, et un négociant en vin, Pierre, organisent de temps à autre un dîner de champagnes. On m’annonce ce dîner qui se tiendra à l’Assiette Champenoise d’Arnaud Lallement, le chef trois étoiles de Reims, pour lequel j’ai une forte amitié. A cause du Covid, cela fait de l’ordre de deux ans que je n’ai pas vu Arnaud aussi, sans demander le moindre renseignement, je m’inscris.
Chacun doit apporter un champagne et rien ne m’est indiqué. J’avais livré mon vin il y a presque une semaine avant le dîner chez Veuve Clicquot. Lorsque j’arrive je suis accueilli par la maman d’Arnaud et je me sens comme en famille, ce que j’apprécie beaucoup.
Je n’avais aucune idée ni des vins ni des participants. Nous serons neuf, dont Jérôme accompagné de son maître de chai, Pierre, un couple de suédois, un couple de belges, un ami de l’académie des vins anciens toujours généreux et moi. Ils ont tous une passion pour les champagnes.
Nous commençons par le Champagne Legras & Haas cuvée Π (pi) magnum, qui est un assemblage de tous les millésimes de 1995 à 2014. Je le trouve absolument élégant et racé. Très belle découverte et très belle réussite. Les amuse-bouches sont raffinés, mais je trouve qu’il y a trop d’acidité dans certains pour coopérer avec le champagne.
Le menu composé par Arnaud Lallement est : ruche de notre parc / Saint-Jacques de Bretagne, chou vert d’A. Deloffre / betterave, épices cari noir, sauce Tio Pepe / homard bleu, hommage à mon papa / barbue des côtes bretonnes, murex, Shiso saké / pigeonneau fermier en tourte, épinard d’A. Deloffre / fromages de Philippe Olivier / noisette du Piémont, beurre salé du vieux bourg.
Le Champagne Dom Pérignon 1980 me plait beaucoup car il est très agréable. Il a la sérénité des champagnes tranquilles et bien faits.
Le contraste est grand avec le Champagne Dom Pérignon 1978 qui est plus large et plus complexe. On a bien fait de les mettre dans cet ordre, car le 1980 n’aurait pas brillé en étant placé derrière ce vif et long 1978.
Le Champagne Bollinger 1970 est d’une belle construction mais je trouve qu’il est dans une phase un peu incertaine de sa vie, n’ayant pas encore trouvé sa maturité. Ayant eu hier une betterave faite par Alain Passard et aujourd’hui par Arnaud Lallement, je serais embarrassé de désigner la meilleure version car les deux, si différentes, sont parfaites. La betterave est un légume de grande personnalité. Arnaud comme Alain l’ont bien traitée.
Le homard est un plat sublime et tellement abouti qu’on ne le concevrait pas autrement. Il est accompagné d’un Champagne Dom Pérignon rosé 1982 qui est dans un état de maturité absolument abouti et d’un Champagne Taittinger Comtes de Champagne rosé 1969 moins orthodoxe mais qui me plait énormément car l’âge n’a pas adouci son côté canaille. C’est un grand rosé. Les deux champagnes se marient bien avec le homard goûteux.
Sur la barbue est servi mon apport, le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial magnum 1964. Le champagne généreux est d’une année que j’adore. Il est rond, large, gourmand et son âge le rend brillant. J’aurais sans doute choisi un plat plus généreux et opulent pour le mettre en valeur, même si le poisson est magnifiquement traité. Il n’y a pas eu la complicité qu’on aurait trouvée avec un plat solaire.
Le pigeon est comme le homard un plat emblématique de la cuisine d’Arnaud. C’est un bon choix d’avoir prévu un Chambertin Clos de Bèze Pierre Gelin 2012 car même s’il est jeune, il a une belle personnalité et un grain de vin riche. Je suis évidemment jaloux, car je pense que le Moët 1964 aurait été idéal avec ce plat, mais je suis heureux de cette association avec le bourgogne.
Sur les fromages, nous avons deux vins de 1959, le Champagne Louis Roederer 1959 et le Champagne Bollinger 1959. C’est un millésime parfait de belle maturité. A ce stade du repas et sans notes, ma mémoire n’a conservé que la satisfaction de boire ces deux 1959, sans franchement les différencier.
Mais je retrouve ma mémoire sur le vin qui a accompagné le dessert, le Champagne Dom Pérignon 1947. Un seul mot le définit, superbe. Ce champagne est l’expression aboutie de Dom Pérignon. Nous l’avions déjà bu lors d’un des dîners organisés par les deux mêmes personnes qu’aujourd’hui en 2017. Je l’avais classé premier lors de ce dîner des « Antiquaires du Champagne », et je ferai de même de ce sublime champagne d’un bel accomplissement.
Mon classement serait : 1 – Dom Pérignon 1947, 2 – Comtes de Champagne rosé 1969, 3 – Dom Pérignon 1978, 4 – Champagne Legras & Haas cuvée Π (pi) magnum, 5 – Moët & Chandon magnum 1964.
Nous avons poursuivi nos discussions en dégustant une Chartreuse jaune délicieuse. C’est un plaisir de partager avec des amoureux passionnés. L’ambiance familiale de l’Assiette Champenoise, et le talent d’Arnaud Lallement font de ce dîner un souvenir précieux. Merci les « Antiquaires ».