Deux amis de l’académie des vins anciens qui vivent en Champagne ont décidé de créer un événement inspiré de l’académie. Ils l’ont intitulé « les Antiquaires du champagne ». Jérôme est vigneron à Chouilly et Pierre est entrepreneur et vend du vin. Ils ont formé une table de dix amateurs dont neuf hommes et la compagne de Pierre. Il y aura deux amateurs de champagne suédois, un écossais que je rencontre très souvent lorsque le champagne est le centre de l’intérêt, un autre vigneron de Champagne qui a quitté sa profession parisienne pour venir exploiter les vignes de la famille de sa femme, un autre ami de l’académie des vins anciens, un élu des Ardennes, Guillaume, et moi.
Le dîner se tiendra à l’hôtel Les Crayères de Reims, et on nous propose de faire la visite de la cathédrale de Reims commentée par Guillaume, le jeune élu des Ardennes. Guillaume est passionnant et nous décrit les motifs des nombreuses représentations sculpturales, qui racontent l’histoire de nos rois. Guillaume est passionnant mais il fait un tel froid, aussi bien devant la cathédrale que dans la nef que je suis obligé de supplier que l’on abrège ces vivants récits tant je me momifie. De retour à l’hôtel je me recroqueville dans mon lit pour essayer de retrouver un semblant de forme humaine tant je suis devenu un manchot non empereur.
A 19h30 nous nous retrouvons au salon du bar de l’hôtel autour d’un Champagne Legras et Haas Chouilly Grand Cru Blanc de Blancs non millésimé, très agréable, fluide, beau champagne d’une belle soif. Les tuiles au parmesan se marient bien avec ce champagne agréable.
Nous nous rendons dans un salon privé qui immédiatement fait resurgir des souvenirs professionnels lointains, lorsque, travaillant avec les sidérurgie belge et luxembourgeoise, nous choisissions de nous retrouver pour des repas de travail à mi-chemin. La salle est belle, bien décorée et de taille idéale pour notre groupe de dix.
Le menu mis au point par Philippe Mille le chef, Philippe Jamesse, l’excellent sommelier, Jérôme et Pierre, nos deux hôtes, est : tartare de gambas blanches au caviar, pommes céleri et agrumes / homard de casier de Montmartin au parfum d’estragon, lentillons de la Champagne et royale d’oignons doux / entrecôte de veau rôti au beurre demi-sel, pommes fondantes et champignons au palomino / brillat-savarin farci de truffe noire, dentelle de pain croustillante / dans l’esprit d’une tarte à l’orange, granité traditionnel et sablé agrumes.
Le Champagne José Michel ‘Spécial Club’ Vintage 1976 a été dégorgé en 1982. C’est un beau témoignage de la maison qui appartient à la famille du beau-père du vigneron ex-parisien. Un tel champagne doit lui donner envie de continuer dans cette belle voie car le champagne, sans être parfait, offre de belles évocations fruitées.
Le Champagne Louis Roederer ‘extra dry’ 1976 est beaucoup plus ambré et sombre que son conscrit. Il est manifestement madérisé mais sur une crème de topinambour, il va se reconstituer et offrir des lueurs plaisantes. Il devient même bon, dans cette forme trop évoluée pour son âge.
Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 que je connais particulièrement bien est grand mais un peu poussiéreux. Il a tout pour plaire mais manque un peu de séduction.
Ces trois champagnes ont accompagné la délicieuse entrée aux gambas et au caviar, plat qui aurait gagné à être plus copieux tant on l’adore. Une discussion est intervenue sur les verres. Philippe Jamesse a inventé une collection de verres pour les champagnes que je trouve exceptionnelle. Mais pour ces champagnes anciens il a choisi ses plus grands verres. Or ces verres, s’ils exhaussent les parfums et les arômes d’une belle façon, amplifient aussi les défauts lorsqu’il y en a et le vieillissement. Un des suédois avait demandé des verres plus petits et il était clair que les petits défauts du Roederer étaient largement atténués avec les verres plus petits.
Le Champagne Charles Heidsieck ‘La Royale’ 1975 est un vin absolument superbe, d’un équilibre absolu et très vif.
Le Champagne Charles Heidsieck 1973 à côté du 1975 apparaît très bon mais sans le côté brillant de la belle cuvée La Royale. Il fait un peu pataud à côté du cinglant 1975.
Le Champagne Pommery & Greno 1949 dont l’étiquette montre qu’il a été servi au mariage de Grace Kelly le 19 avril 1956 est absolument princier sur les lentilles. C’est un immense champagne.
Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1934 est aussi un grand champagne mais n’a pas la perfection du 1949. Le plat de homard est une merveille de gourmandise, surtout grâce aux intelligentes lentilles.
Le Sillery Rouge Pommery & Greno 1942 a un niveau bas qui n’amplifie pas ses défauts. Je le trouve intéressant.
Le Bouzy Rouge Pommery & Greno 1942 est superbe. C’est un très beau vin gourmand et de belle vivacité qui se marie bien à la tendreté du veau.
Le Bouzy Rouge Paul Sévès 1970 est agréable mais n’a pas le niveau du 1942. Ces trois vins rouges par leur côté salin rappellent un peu les bourgognes. Ils tiennent bien leur place dans ce repas.
Le Champagne Dom Pérignon 1964 est un de mes apports à ce repas. C’est un vin que j’adore et qui se présente bien, mais n’est pas au sommet que j’ai l’habitude de trouver en ce grand Dom Pérignon.
Il faut dire que le Champagne Dom Pérignon 1947 au niveau très bas dans sa bouteille est extraordinaire. Il est d’une précision inégalable et d’un charme tout en douceur. C’est un champagne de rêve.
J’avais apporté pour le cas où une deuxième bouteille. L’ambiance enjouée et amicale me pousse à demander qu’on l’ouvre. Le Champagne Lanson Red Label 1971 et superbe, à son optimum, très grand champagne expressif.
Mon quarté des champagnes de ce soir sera : 1 – Dom Pérignon 1947, 2 – Pommery & Greno 1949, 3 – Lanson red label 1971, 4 – Charles Heidsieck ‘La Royale’ 1975.
La cuisine a été de très haut niveau, la palme revenant au homard aux lentilles. Le service de l’équipe du restaurant est attentionné et compétent, rendant le diner encore plus agréable. Le dîner s’est tenu en français et en anglais, dans une ambiance amicale, joyeuse mais aussi attentive à découvrir les mille complexités de ces vins anciens originaux.
Pour une première des « Antiquaires du champagne » Jérôme et Pierre ont réussi un coup de maître.