Une nièce de ma femme vient passer quelques jours à la maison. Il y aura ce soir mon fils et ma nièce allemande à dîner. Ma femme a annoncé des linguines avec des pétoncles. L’idée qui me vient est d’associer ce plat avec un vin blanc allemand. Et aucun dessert n’étant annoncé, je choisis en cave un vin de paille autrichien. Je pense que du litchi irait avec ce vin, mais faute de litchi, l’ananas ferait un bel accord. Je prends un champagne dans ma musette et je reviens au logis croyant être en avance, mais mon fils et ma nièce sont déjà là.
J’ouvre le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cave Privée Brut 1980 et contre toute attente, le bouchon se brise à la torsion. Je lève le bas de bouchon au tirebouchon et aucun pschitt majeur n’apparaît alors que la bulle est belle. Le champagne n’est pas du tout ambré. En bouche, le champagne est une surprise absolue. Jamais je n’attendrais d’un 1980 qu’il puisse être aussi expressif, aussi mature et aussi convaincant. Nous sommes en face d’un très grand champagne. Il faudra que je m’enquière d’en trouver d’autres.
Ma femme ouvre un foie gras délicieux qui offre un accord superbe avec le champagne. J’essaie avec un camembert de quelques jours et je suis le seul à être convaincu par l’apport que l’amertume du fromage offre au champagne. Nous nous disons, mon fils et moi, que ce champagne joue dans la cour des très grands.
Pendant l’apéritif, j’ouvre les deux vins qui vont suivre. Sur le plat préparé par ma femme je sers un Niersteiner Königskerze Monopole Bansa & Sohn Rheinessen 1959. Ce vin légèrement ambré est sec mais doté d’un lourd botrytis qui le rend à la limite du liquoreux. Il est d’une cohésion et d’une cohérence qui n’appartiennent qu’aux vins anciens. Il est riche, très long en bouche et infiniment séducteur. On se dit à chaque occasion que l’on ne boit jamais assez de vins blancs allemands. L’accord avec le sucré des pétoncles est tout simplement sublime, la pâte italienne jouant un rôle d’amortisseur, pour que le goût du vin se prolonge en bouche. Nous sommes aux anges. La persistance aromatique de ce vin est rare.
Le vin allemand poursuit son voyage avec comté assez doux qui confirme sa sérénité.
J’ai apporté une tarte à l’ananas et en secours une boîte de conserve de litchis, car il n’en existe pas de frais. Le Golser Strohwein (vin de paille) Georg Lunser Autriche 1998 en bouteille de 50 centilitres titre 11°. Il est nettement plus ambré que le vin allemand. Ce vin d’une richesse rare est un Stromboli de saveurs. Il est kaléidoscopique. Il est riche, très sucré, et tous les fruits exotiques s’y trouvent. A l’ouverture ce qui frappait c’était son parfum de litchi. Mais associé au gâteau, il respire l’ananas. Ce vin a tout d’une confiture multi fruits, plombant, mais offrant aussi une belle fraîcheur ce qui n’est pas paradoxal. Ce vin est un péché de gourmandise.
Il serait impossible de classer ces vins tant ils sont différents. Le veuve Clicquot 1980 s’est montré à un niveau que je n’aurais jamais imaginé, d’une cohérence rare. Le Rheinessen 1959 est d’une richesse infinie et l’accord avec les pétoncles est magique. Et le vin de paille de 1998, malgré son jeune âge, en remontrerait à beaucoup de vins plus anciens, tant il explose de complexités. Je suis content d’avoir suscité des accords d’une belle précision. Ce dîner atypique fut heureux.