Le 24 décembre, nous recevons à la maison mes deux filles et leurs enfants. J’ouvre les vins du dîner en début d’après-midi, vers 15 heures. Vers 18h les bougies du sapin s’allument, j’ai un mal fou à extirper le bouchon d’une bouteille de Champomy, le champagne des enfants, et les cadeaux s’échangent car dans nos usages, le Père Noël ne vient pas dans la nuit du 24 au 25 déposer les cadeaux dans la cheminée.
J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1975 qui m’avait très favorablement impressionné lorsque je l’avais bu avec mon fils il y a peu. Celui-ci est de la même veine. La couleur est claire, avec une légère teinte de rose. La bulle est active et le champagne joliment pétillant. Le mot qui reviendra le plus souvent dans ma bouche pour le caractériser est « gracieux ». Ce champagne est plein de grâce, de noblesse et de romantisme. Il a des tons de rose, de petits fruits roses, et c’est surtout son équilibre et sa séduction qui en font un grand vin. Un Pata Negra peu gras convient bien au champagne et un foie gras truffé délicieux n’apporte rien au champagne. Comme dit l’une de mes filles, le champagne brille plus si on le boit seul. Je suis conquis par ce 1975.
J’ai ouvert trois vins de Guigal pour que nous nous amusions à les comparer. Le risotto à la truffe est délicieux. Il eût appelé un vin blanc aussi attendons-nous le porcelet pour profiter des vins. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1986 est d’une rare complexité et d’une belle sérénité. Elle a une mâche accomplie de première grandeur.
La Côte Rôtie La Turque Guigal 1992 est vive comme un coup d’épée. C’est elle qui avait le nez le plus conquérant à l’ouverture. Les parfums des deux autres ont rejoint la finesse des fragrances de ce vin.
La Côte Rôtie La Landonne Guigal 2001 est la plus moderne, ce qui est lié à son âge. Elle est plus consensuelle.
Pour ma fille cadette il ne fait pas de doute, c’est la Mouline la plus grande. Pour ma fille aînée, c’est la Landonne, mais je sais qu’elle aime les vins plus modernes. En ce qui me concerne, je suis fasciné par un phénomène qui me ravit quand il se produit : à chaque gorgée, c’est le vin que je bois que je trouve le meilleur. J’adore quand les vins jouent avec moi à qui me séduira le plus. Quand j’ai ouvert les vins en cave, j’aurais parié sur la Turque. Quand je bois La Mouline, sa sérénité et l’accomplissement de sa palette de saveurs emportent mes faveurs. Quand je bois La Turque, c’est la vivacité de son message tranchant qui me pousse à le préférer et quand La Landonne, plus calme, plus féminine et plus dans le fruit me parle, je l’écoute plus que les autres.
Je me suis laissé emporter par cette douce torpeur qui empêche de choisir, mais si, in fine, je dois décider, je classerai : 1 – Mouline, 2 – Landonne, 3 – Turque. Bien sûr chacun des vins mérite mes amours.
Une mousse au chocolat est accompagnée par le Madère des années 30 ou 40 que j’avais ouvert pour mes amis conscrits. Ses notes de caramel et de café accompagnent bien cette mousse gourmande. On s’embrasse, on se lance « Joyeux Noël », on se remercie pour les cadeaux. Il faudrait des portefaix pour les rassembler tous. La magie de Noël a une fois de plus illuminé notre maisonnée.
Le lendemain, le déjeuner de Noël est simplifié. Nous allons directement au plat de résistance qui est du pigeon avec choux de Bruxelles, lardons et marrons en copeaux. Les trois vins de la veille sont meilleurs. La Landonne 2001 est riche, plus dense. La Turque 1992 prend une ampleur remarquable. La Mouline 1986 reste toujours aussi élégante.
Les trois vins du Rhône arrivent à leur fin aussi est-il temps d’ouvrir un Vega Sicilia Unico 1991. Le vin n’a pas eu le temps de s’épanouir aussi est-il un peu serré, surtout dans le final. Mais on perçoit sa grandeur avec de petites intentions de café. Il est grand, nécessite un peu d’aération, aussi n’atteint pas le niveau de la Mouline.
Pour la rate aux pommes, j’avais envisagé un champagne mais après nos agapes de la veille, rester sur le vin espagnol est plus raisonnable.
Chacun ramasse ses cadeaux. Des taxis raccompagnent chaque famille chez elle. Il reste le souvenir d’un beau Noël familial.
Le soir, tout le monde est parti, il reste des fromages à finir. Le Vega Sicilia Unico 1991 devrait être plus aéré mais en fait il se montre comme s’il avait eu dans sa vie un coup de froid, car il semble resserré, coincé, sans la vibration que je lui connais. Sa structure évoque sa grandeur, mais il n’est pas au rendez-vous. Il brillera une autre fois.