Ma femme reçoit pour le premier repas de Noël notre fille aînée, son conjoint et nos deux petites filles. L’apéritif est fait de fines tranches de jambon espagnol qui accompagnent un Champagne Krug 1988. Très précis, riche d’expression, ce champagne est en pleine possession de sa maturité. Les cadeaux s’échangent, toujours nombreux et généreux, entraînant des « oh » et des « ah », dont la durée de vie est éphémère tant le cadeau suivant captive instantanément. Nous passons à table et sur deux terrines de foie gras, j’ai prévu un Champagne Dom Pérignon 1962. Hélas à l’ouverture, ce champagne dont le bouchon est gras est noir, a une odeur désagréable. Je décide de le laisser s’épanouir à l’air frais du dehors. Nous goûtons dès à présent l’Hermitage Rochefine Jaboulet Vercherre 1967 de l’année de naissance de ma fille. A l’ouverture, l’odeur m’était apparue subtile. Le vin confirme et c’est un Hermitage délicat, délicieusement bourguignon, avec un fruit aimable. Peu de temps après, c’est une impression poussiéreuse, de cendre de cheminée qui s’impose à nos palais. Je décide d’ouvrir un Hermitage Chave rouge 1988 qui a la beauté de construction des vins de Jean-Louis Chave, et une discrétion propre à l’année. C’est assez amusant de voir les similitudes de ces deux Hermitage et de constater que les deux développent des amertumes bourguignonnes. Comme le Jaboulet s’est à nouveau réveillé, nous profitons de deux Hermitage délicats, à la puissance faible mais à l’évocation aimable.
Sur le canard au miel et aux pommes de terre en robe des champs, c’est l’heure de la Côte-Rôtie La Turque Guigal 1995. Le nez à l’ouverture était une bombe de cerises noires et cassis. On retrouve cette générosité immense dès les premières gorgées. Ce vin généreux est porteur de plaisir. Il est fondamentalement différent de la Landonne 1991. Ce 1995 est encore d’une folle jeunesse alors que le 1991 avait atteint la sérénité. Le match entre deux camemberts, Réo et Lanquetot est gagné par K.O. par le Réo, magnifique fromage et les vins du Rhône ne sont pas du tout inappropriés à leur contact.
Le Dom Pérignon 1962 s’est débarrassé de presque tous ses défauts même s’il reste encore une amertume qui limite le message. On sent l’immensité de la complexité de ce champagne limitée par l’imperfection du bouchon. La tarte au citron meringuée était le désir de ma fille. Aucun vin ne lui convient. Aussi, juste avant d’aller dormir, un petit verre d’une miraculeuse Tarragone est le plus beau viatique pour prolonger dans les rêves la magie de Noël.