Dans le cadre des festivités de Rhône Vignobles, nous avons participé à 21 à un atelier de vins anciens avec 18 bouteilles de tous horizons. Nous sommes prêts pour le dîner où 31 convives seront répartis en trois tables.
Le Champagne Louis Roederer Jéroboam années 60 apporté par Georges est servi à l’apéritif. Il est d’une belle couleur claire. Il est agréable, bien équilibré et joyeux. Il est surtout sans âge tant il est agile, ce qui surprend plusieurs vignerons peu familiers des champagnes anciens. C’est un champagne franc et sympathique.
Pendant que nous prenons l’apéritif, un ami vient avec la bouteille de Château Grillet 1981 que Georges n’avait pas voulu servir. Le vin n’a, ni au nez ni en bouche, la moindre trace de bouchon. Il est excellent, avec un joli gras et une belle expression que je ressens comme authentiquement Grillet. C’est le miracle du vin qui est capable de se reconstituer tant l’oxygénation lente fait des merveilles. Il aurait été classé dans les tout premiers de l’atelier s’il avait eu le temps de renaître.
Le menu composé par Michel Chabran est : pommes de terre « ratte » écrasées aux truffes / noix de coquilles Saint-Jacques à la plancha, risotto crème de mascarpone et mimolette, truffe de notre région / retour de chasse sur une crique ardéchoise / chèvre frais aux éclats de picodon, huile de truffe ‘maison’, la vraie / entremets chocolat et marrons Imbert, crème glacée à la vanille / petits fours et friandises.
Le Corton-Charlemagne Caves de La Reine Pédauque Jéroboam 1949 que j’ai apporté est servi en carafes par Georges dos Santos, du fait du volume important du flacon. La couleur est à peine ambrée. Elle est engageante. Le nez est pur, précis. La bouche est belle et curieusement, elle évoque des fruits rouges, soit des framboises, soit des groseilles, mais non aigrelettes car l’acidité du vin est très équilibrée. Le vin est puissant et on serait bien embarrassé de lui donner un âge. Certains ont préféré le Corton-Charlemagne 1942 que nous avions bu lors de la dégustation à 17 heures mais je préfère le 1949 pour son affirmation, sa puissance convaincante et ce délicieux goût de fruits rouges qui le rend original. Je suis content que ma bouteille se soit montrée à un tel niveau. La qualité des truffes est exceptionnelle, et l’accord avec le Corton-Charlemagne est magistral.
La Tâche Domaine de la Romanée Conti Jéroboam 1957 ouverte à 10 heures ce matin avait un nez discret à l’ouverture mais sans défaut perceptible. Je l’ai sentie plusieurs fois pendant la journée et le parfum a mis du temps à éclore. Juste avant le service du repas je commençais à me dire que le vin allait être grand. Georges me verse le premier verre et je me retiens de crier ma joie. Ce vin est parfait et surtout il a toutes les caractéristiques qui font le génie des vins de la Romanée-Conti, la rose et le sel. Ce vin est émouvant. Je vois avec plaisir que chacun est subjugué par la transcendance de ce vin, dont les complexités sont infinies et la grâce extrême. J’en jouis et je suis content que mon fils puisse lui aussi profiter de cette bouteille d’exception. Les oiseaux sont traités en gibier, avec une farce magnifiquement faite mais forte. J’ai pris le risque que La Tâche soit sur ce plat et je pense que j’ai eu raison. Ce vin fait partie des plus grands La Tâche que j’ai eu l’occasion de boire. Je l’ai bu cinq fois en bouteilles et je mesure l’apport très positif du format du flacon, qui donne une sérénité supplémentaire.
Le Château La Gaffelière Saint-Emilion Jéroboam 1964 n’est pas mauvais, mais passer après La Tâche est mission impossible. Il existe, il est buvable, mais il n’est pas porteur d’une grande émotion. Et le chèvre ne l’aide pas beaucoup à briller. On le boit, bien sûr, mais le cœur n’y est pas.
Le Château Branaire (Duluc-Ducru) Saint-Julien double Magnum 1979 qui avait eu un accident de bouchon m’étonne, car il n’a aucun défaut olfactif. Comme La Gaffelière, il est buvable, carré, mais il est sans émotion.
Le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaurenard magnum 1969 a été ajouté par Daniel Coulon pour honorer mon fils qui est de ce millésime. C’est non seulement une charmante attention mais aussi un vin d’une maturité exceptionnelle. C’est un vin charpenté, équilibré, à la trace profonde en bouche. Il est expressif et porteur de bonheur.
D’autres vins ont été apportés ici et là.
Sur le dessert où le marron domine par rapport au chocolat, le Porto Niepoort & Cie Colheita 1908 apporté par Georges se présente très trouble et plutôt pâle. Le nez est assez éteint mais le vin s’anime en bouche et plus le temps passe et plus il prend de l’ampleur. Il est très agréable, mais comme le précise Georges, il a ouvert d’autres 1908 nettement meilleurs.
Les deux alcools que j’ai apportés se boivent debout pour que de nouvelles discussions éclosent. Le Marc de Champagne Oudinot & Fils à Avize années 20-30 est incolore comme de l’eau. Son nez est impressionnant de force. En bouche, c’est l’archétype d’un grand marc, précis, fort, et ciselé. Je le trouve très raffiné.
A côté de lui, le Marc de rosé du domaine d’Ott 1929 a un nez doucereux et paraît beaucoup plus féminin, de grâce douce. Il est moins affirmé que ceux que j’ai bus de bouteilles différentes du même lot. Mais les deux marcs se complètent tant ils sont dissemblables. Ce soir ma préférence va au marc de champagne, tellement il représente l’idéal du marc.
Je n’ai pas suivi le groupe Rhône Vignobles pour la deuxième journée au domaine Courbis. Un dîner m’attendait au restaurant Taillevent et je voulais m’y rendre. Cette journée passée avec des vignerons charmants, amicaux et généreux m’a plu. Georges a fait un travail considérable et nous a raconté de belles anecdotes sur les vins. Je suis tellement fier que La Tâche 1957 dans ce format si rare se soit aussi bien comporté au point d’être transcendant que cette journée sera marquée pour toujours dans ma mémoire. Vive Rhône Vignobles.