Ce récit est dans le huitième bulletin. Patrick Pignol le talentueux chef du restaurant éponyme, nommé aussi Relais d’Auteuil, a reçu les dix convives d’un dîner de wine-dinners. Dans la salle un bel espace avait été réservé, avec une table accueillante et des dessertes pour les vins et les verres.
Les vins avaient été apportés deux jours avant. Deux vins furent ouverts dès 15 heures et les autres à 18 h 30. Nous avons déterminé si les vins devaient être aérés, ou au contraire devaient avoir une oxygénation minimale. Aucune mauvaise surprise, et même des parfums envoûtants : Pommard et Vosne Romanée. Les promesses étaient belles et rassurantes pour tous les vins, ce qui n’arrive pas toujours.
Fort à propos, et guidé sans doute par son grand amour des vins, Patrick Pignol a décidé de mettre en valeur les vins par des produits de qualité cuisinés de façon discrète. Cet effacement apparent mettait encore plus l’accent sur la finesse de sa cuisine, puisque chaque petite touche allait accompagner la découverte des crus. Une tranche épaisse de saumon avec une discrète crème à l’asperge s’est associée au champagne et au premier Laville, des langoustines royales coupées en deux et juste cuites sans aucune fioriture accompagnaient deux blancs, un délicat chausson de céleri et truffes mettait en valeur les Bordeaux, un pigeon à la chair succulente se mariait aux puissants Bourgogne. La seule petite erreur, qui nous est imputable, est le choix des fromages sur le Vosne Romanée qui aurait dû se boire seul. Un Roquefort mettait en valeur le premier Sauternes, et des bananes juste poêlées ainsi que des madeleines offraient les honneurs au phénoménal Sauternes final.
Nicolas, sommelier attentif et respectueux des vins a assuré un service remarquable, ainsi que toute l’équipe jeune et professionnelle de Patrick Pignol.
Le Charles Heidsieck 1982 avait une belle limpidité, des bulles abondantes, et ne montrait aucune trace de début de madérisation. Il avait gagné en rondeur du fait de l’âge. Le Laville Haut Brion 1987 a laissé éclater un nez époustouflant : l’archétype du Bordeaux blanc, avec ces senteurs d’agrumes et de fruits de mer. On ne se lassait pas de le sentir, et plusieurs convives avaient le verre au niveau du nez. C’était un vrai plaisir de le sentir. En bouche, un goût de Bordeaux très orthodoxe, dont un convive a signalé le gras inhabituel pour cette année. Ce même convive avait apporté un Laville 1966 qui a été bu juste à la suite. Quelle expérience intéressante, le 66 étant beaucoup plus riche, plus puissant et plus accompli. Je craignais qu’il n’écrase le Mercurey blanc Marcel Amance 1976 qui a parfaitement trouvé sa place à la suite. Une couleur d’un jaune épanoui, un nez subtil qui permettait une confrontation des Bordeaux blancs et Bourgogne au plus haut niveau. Quelqu’un a signalé que ce Mercurey avait tout d’un Montrachet, tant sa palette aromatique était étendue. Une réussite.
Les Bordeaux avaient été choisis dans un registre de discrétion. Le Ducru Beaucaillou 1969 a montré de très belles qualités, assez généreux alors que le Figeac 1967, d’une structure plus noble, gardait un peu de réserve. Pour des vins de subtilité, la truffe a réveillé le message.
Les Bourgogne au contraire avaient été choisis pour se placer sur un registre de force et de puissance. Le Beaune Cent Vignes Nicolas de 1969 était vraiment remarquable. Riche onctueux, très typique, il a montré comme 1969 est une belle année en Bourgogne. Le Pommard Rugiens de Pierre Clerget de 1961 a commencé de façon discrète. Le 1961 ne se voulait pas écrasant. Puis, plus ouvert, il a montré des saveurs éclatantes, et une plénitude en bouche prenante. Les deux vins, goûtés ensemble, étaient un festival de goûts riches, accomplis, ou toute aspérité bourguignonne avait disparu. Un étonnement de plaisir pour tous les convives.
Lorsque le Vosne Romanée de Thomas Frères 1943 fut servi, j’ai eu un petit moment d’interrogation. Il est époustouflant, mais il est plus difficile à comprendre du fait de son âge. La complexité prend le pas sur la chaleur envahissante des deux précédents. Fort heureusement, en s’oxygénant, le Vosne Romanée est devenu flamboyant et plus facile à comprendre, et la qualité gustative de convives compétents a fait le reste. Ce vin a montré une noblesse rare, les signes de fatigue étant inexistants.
Le Lafaurie-Peyraguey 1964, d’une belle couleur dorée s’est révélé un chatoyant Sauternes tout en bonheur, très orthodoxe et rassurant. Un vrai plaisir sur le Roquefort.
Enfin, la vedette absolue de la soirée, le Doisy 1921 a conquis tout le monde. Sauternes exceptionnel, avec des milliers d’arômes dans toutes les directions possibles de fruits, de sucres et d’épices. En bouche, une plénitude et une longueur que l’on ne peut pas imaginer tant que l’on n’a pas bu des Sauternes anciens. Les plus courageux et couche tard finirent la soirée sur un délicieux Rhum de 1960.
Bien que ne se connaissant pas, tous les convives bavardèrent allègrement dans une ambiance « studieuse » mais enjouée. Une anecdote intéressante. Demandant à chacun de classer les quatre vins les plus impressionnants de la soirée, sur dix convives il y a eu dix réponses toutes différentes, ce qui conduit à deux conclusions : d’une part le goût est très personnel, et ne se décrète pas. Chacun a des saveurs qui lui conviennent mieux. Et la deuxième c’est qu’il y avait une concentration rare de vins à pleine maturité pour qu’ils puissent aussi nombreux être classés en tête par au moins un convive.
Il n’y a eu aucun déchet ou aucun vin fatigué. Les vins ont été servis dans des conditions d’ouverture et de température idéales. La cuisine d’un grand chef au service de grands vins. Le sourire et l’accueil de Madame Pignol.
Tout ceci a permis de réussir une belle soirée. On aura bu onze vins sans aucune impression de saturation ni de confusion. La formule choisie est la bonne. C’est un souvenir éternel pour tous les convives.