Pour des amateurs danois, sur une terrine de légumes et un gigot de « plusieurs » heures nous avons démarré par une bouteille sans aucune indication. Je pensais ouvrir un madère des années 20. C’était en fait un Porto Blanc Croft vers 1920. Délicieux, rond sans être imposant, il se buvait avec une facilité extrême, et a révélé toutes ses facultés sur un Saint Agur. J’ai ouvert ensuite un vin sans trop y croire, car le dernier ouvert m’avait déçu : un Meursault Patriarche 1942. Ce vin légèrement madérisé est évidemment au delà de sa vie normale. Un professionnel le refuserait, et mes hôtes l’auraient volontiers écarté, mais nous avons pu constater, tout au long du repas, combien ce Meursault se reconstituait : le nez reprenait ce coté métallique, pétrolier de Meursault, et le goût perdait progressivement de son madère pour donner un vrai plaisir de vin légèrement fumé. Le contraste était évidemment flagrant avec un Chablis Grenouilles Grand Cru William Fèvre 1976 qui était dans une forme parfaite. Un nez agressif de minéralité, et en bouche une rondeur onctueuse, grasse, avec une persistance en bouche extrême. Mais malgré la différence entre un vin absolument au sommet de son art et un vin « ancien combattant », le Meursault ne pouvait pas être éliminé sans qu’on n’en tire tout le message. Beaucoup d’experts ne s’y arrêteraient pas. C’est un vin témoignage. C’est une autre forme de la vie d’un vin au delà de la vie.
Nous avons bu Château Palmer Margaux 1964 dans des verres Riedel. Ces verres déshabillent, décortiquent les vins. Et là, après des présentations d’une modestie bien élevée, le Palmer s’est progressivement épanoui pour devenir grandiose. Ce vin est décidément une des belles réussites de 1964 qui a encore beaucoup de choses à dire, et cette subtilité raffinée s’est exprimée encore une fois de façon éclatante. Un Rausan Ségla Margaux 1924 avait montré à l’ouverture vers 16 heures un beau nez prometteur. J’avais immédiatement rebouché et redescendu en cave, car la température ambiante était trop élevée. Fort curieusement en servant, un très désagréable nez de bouchon que je n’avais pas ressenti plus tôt. Malgré cet aspect rebutant, il n’y avait aucune amertume en bouche, le vin exprimant au contraire une onctuosité doucereuse de vin séduisant. Le vin s’est bu avec plaisir. Il suffisait de se boucher le nez, ce qui est bien curieux comme sensation. Mes hôtes danois reconnaissaient qu’il méritait le voyage. Le lendemain, le nez de bouchon avait disparu, le vin gardant son goût soyeux, mais l’acidité se renforçant, du fait de la chaleur ambiante.
Les blancs et le Porto ont accompagné les fromages avec réussite. Sur une crème au chocolat amer, nous avons essayé deux Armagnac : Un Armagnac Dupuy 1961 et un Laberdolive 1946. Deux petites merveilles, et deux expressions gustatives très différentes, le premier très chaleureux et spontané, le second plus construit et sophistiqué. Le bouquet final du repas fut un bouquet d’herbes. Les charolaises ou les limousines doivent être bien heureuses, si leur pâture ressemble à ces profusions d’herbes que donne une Bénédictine des années 30, décidément très agréable.