Après avoir déjeuné au George V et passé l’après-midi au bureau, je rentre à la maison pour dîner.
Sur la table, une bouteille de forme bourguignonne recouverte d’une feuille d’aluminium.
Ma femme me dit : « goûte ça ».
Je verse dans un verre à vin qu’elle m’a préparé.
A la maison, nous ne buvons jamais de vin quand nous sommes ensemble, aussi suis-je intrigué. S’agit-il d’un jus de fruit qu’elle aurait fait et mis dans une bouteille vide ? S’agit-il de quelqu’un qui serait venu à la maison avec une bouteille ? Mais pourquoi serait-elle ouverte ?
Je ne cherche pas plus la raison de tout cela, et je prends le verre.
La couleur est celle d’un vin, donc si c’est un jus de fruit, c’est mûre ou cassis.
Je sens, et, sans aucun doute, c’est du vin.
Je reviens à la couleur, et c’est la couleur d’un vin récent relativement peu fruité. Il n’y a ni noir ni rouge vif.
Je goûte. C’est assez limité, mais ce n’est pas mauvais, car je ne sens aucun excès.
Ma femme me demande : « est-ce que c’est bon ? ». Je dis que ce n’est pas si mauvais que ça, même s’il n’y a pas un grand fond. Et j’essaie de situer. Je suis évidemment influencé par la forme de la bouteille, et je risque : centre de la France, plutôt vers Beaujolais ou centre Nord.
Ma femme me dit : « est-ce que c’est français ». Je réponds que oui en toute vraisemblance.
Le suspense s’arrête quand ma femme enlève le papier d’aluminium.
C’est : « cuvée du Patron », vin de pays de Méditerranée, produit de France.
Le bouchon en matériau synthétique indique : « mis en bouteille dans nos chais ».
La contre-étiquette dit : « Cuvée du Patron, vin de pays de Méditerranée, vin rouge. Tout le soleil de la Méditerranée et la générosité du terroir de la Vallée du Rhône sont réunis dans cette cuvée ». Le vin fait 13° et contient des sulfites.
C’est donc, à mon sens, un mélange de vin d’Algérie et de vin du Rhône, non identifié. En fait non, c’est un vin français, car l’appellation vin de pays de Méditerranée veut dire vin français.
L’étiquette du prix est toujours là : 2,90 €.
J’ai trouvé que ce vin est plutôt meilleur que des vins mauvais de certaines régions. Je n’ai pas fini mon verre car il n’y a pas de raison de se faire mal, mais ce n’est pas si stupide.
Là où je me suis trompé, sans le dire, c’est que j’imaginais, du fait de la platitude du vin, qu’il s’agissait d’un vin de plus de dix ans. Erreur.
Je n’ai pas trouvé le vin, car on n’est pas franchement dans mes repères. Mais cette cuvée du Patron n’est pas si stupide que ça, parce qu’elle ne cherche pas à prouver quelque chose. Il y a des vins de cantine ou de buffet qui sont atroces à côté de celui-là.
Alors, pourquoi ce vin ? Ma femme prépare des joues de bœuf aux carottes confites.