L’été se termine traditionnellement par notre « université de fin d’été », un séjour à Casadelmar, le magnifique hôtel de Porto-Vecchio. A Figari, il faut louer une voiture et on mesure à quel point le souci du client est une notion obsolète. La priorité est au prix de revient, à l’optimisation de la masse salariale, et le client doit s’adapter à ce programme minimum. Penser à ses souhaits serait une erreur de nos jours. Productivité, on vous dit. Après un parcours sans histoire dans des paysages qui prêtent à la rêverie nous arrivons à l’hôtel. L’hôtesse est prévenante, et notre chambre qui donne sur la baie de Porto-Vecchio est un appel au bonheur.
Avec Jean-Philippe, nous déjeunons au grill, à une table cachée sous l’ombre d’un grand arbre, bercés par le clapotis des eaux calmes. Nous avions dit « pas de vin », mais il faut fêter le début du séjour, alors c’est un Champagne Bollinger R.D. 1996 qui nous souhaitera la bienvenue. Les plats sont extrêmement copieux et goûteux. J’ai pris des poissons crus en spaghettis et un mixed grill de poissons. Le champagne est d’une forte personnalité, viril et très typé. Il est vraiment grand. L’entrée en matière de ce séjour est réussie.
A 20 heures, Jean-Philippe est en grande conversation avec Davide Bisetto, le chef du restaurant, car nous avons au programme deux dîners gastronomiques avec nos vins apportés pour la circonstance. Davide est passionnant à écouter car il est très marqué par les plats italiens de sa jeunesse mais aussi par les plats des générations précédentes. Et il revisite des recettes historiques. Il aimerait bien utiliser cette base historique pour le parcours de deux jours que nous allons faire. Il a la mémoire des plats que nous avons goûtés et veut que chaque étape soit marquée par la nouveauté. Nous trinquons sur un Champagne Krug 1990. Le nez du champagne est d’une folle jeunesse, complexe, fort. En bouche il est passionnant car il combine des expressions de grande jeunesse avec le côté buriné des champagnes anciens. A la charnière de deux tendances, il est excitant car insaisissable. Il a des amertumes de thés aux fruits, mais aussi une vigueur très vineuse. J’aime qu’il nous entraîne dans du hors piste.
C’est Davide qui a composé notre menu : autour du Risina di Spello (qui est un haricot blanc) / langouste à l’Amatriciana, glace d’aubergine au sel fumé / tortelli de baccala, gambas marinés, émulsion roquette-ginger-lime / pigeon fermier poché au Vernaccia de Sardaigne / rafraîchissant / soufflé au yoghourt de brebis et café, sorbet réglisse.
Trompettes de la renommée, il va falloir vous habituer à sonner les trois étoiles de ce chef. Car c’est un des plus brillants dîners que nous avons vécu. Le plat miraculeux, c’est celui de la langouste. Car l’interprétation est artistique, divinement créatrice, avec un sens esthétique extrême. Puisque Davide est italien, on pourrait parler de Raphaël ou de Michel-Ange, tant l’harmonie et l’imagination sont présentes.
Pour les deux plats suivants, tout aussi brillants, ce sont les petits bouillons qui rehaussent les goûts et jouent un rôle multiplicateur extraordinaire pour les vins. L’émulsion de roquette, si l’on accepte la force du goût, donne au Krug 1990 une assise et une plénitude hors du commun. Pour le pigeon à la tendreté démoniaque, nous avons choisi un Solaia Antinori 2000 pour honorer l’origine du chef. Le vin a un nez d’une richesse de notable. En bouche il est puissant et confortable. C’est vraiment le notable de province, mais un notable qui a du pouvoir. Avec le jus fait d’abats, le vin est propulsé à des hauteurs de richesse et de bonheur qui sont rares.
A chaque fois, nous sommes confondus par le talent du chef fait de créativité, d’élégance, de pertinence et de cohérence des goûts. C’est spectaculaire et va beaucoup plus loin que de nombreux chefs qui ont trois étoiles. Il va rejoindre leur cercle, c’est sûr. Alors, on pense à Noma et l’on se dit que Noma, c’est un voyage. Le repas est un parcours initiatique extrêmement passionnant. Tandis qu’avec Davide, c’est une succession de tableaux de Raphaël. C’est le génie dans la conception et dans la réalisation.
Ce soir, nous étions concentrés sur la cuisine, car c’est là qu’était le talent. Les deux très bons vins ont eu l’intelligence de savoir profiter de cette créativité pour nous trouver des arômes qu’ils cachaient sous leurs blouses.
Nous avons vécu l’un des plus beaux dîners de cette année 2011. Il en reste deux à venir !